Bac 2024 : sujets corrigés de l'épreuve de Spécialité HLP 🎓
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Voici des éléments de réponses possibles pour les sujets proposés.
Sujet 1 : Comment se manifeste le sentiment amoureux dans cette scène ?
La première question invitait à relire le texte de Victor Hugo en relevant les éléments qui contribuent à décrire et à exprimer le sentiment amoureux. Celui-ci est aussi bien celui de Ruy Blas, que celui de la Reine, qui s’exprime toutefois en termes voilés, sous la forme d’une admiration. On pouvait donc thématiser ce contraste entre deux moments du texte : l’un qui dit l’amour à mots couverts, l’autre qui le dit à mots découverts.
I. Une déclaration d’amour lyrique et romantique
La tirade de Ruy Blas prend la forme d’un aveu, centré sur le « je » du personnage qui y déclare son amour. On pouvait souligner ici tous les topoï liés à l’expression de l’amour :
a) Les répétitions de termes liés au champ lexical de l’amour (v. 28, v. 32 : « je vous aime d’amour » avec la redondance du complément, v. 35, v. 42) ;
b) L’expression de la souffrance liée au sentiment amoureux qu’on ne sait pas encore réciproque. On pouvait rappeler le modèle pétrarquiste, et noter les exclamations (« hélas ») et le champ lexical de la souffrance. Le rapport entre la mort et l’amour est aussi un topos classique (v. 46).
c) L’idéalisation de l’être aimé, ici approché à travers une comparaison avec la lumière. Ruy Blas est comme un aveugle devant la Reine qui l’éblouit et qui est « comme un ange qu’on voit » (il fallait commenter le caractère antithétique et paradoxal de cette expression, puisqu’un ange est normalement invisible) ; on pouvait aussi remarquer l’antithèse entre l’ombre dans laquelle se trouve Ruy Blas et la lumière de la Reine, lorsqu’elle apparaît.
d) Le champ lexical de la vision exprimait enfin, dès le début de la scène, l’accentuation de l’amour à l’apparition de l’être aimé, après que la Reine a espionné Ruy Blas en cachette : cette scène est une scène de face à face, qui suit une scène d’espionnage, qui a rendu la reine amoureuse (v. 21)
II. L’amour entre admiration et révérence
a) La Reine exprime les débuts d’un sentiment amoureux, qui prend d’abord la forme d’une admiration :
- Ruy Blas lui paraît singulier, différent et meilleur que tous les autres : voir notamment les hyperboles (v. 17 : « vous aviez superbement raison » ; v. 21 : « vous me sembliez seul être resté debout ») ;
- La comparaison, très osée, à Dieu, où se marque le romantisme d’Hugo : « Pourquoi étiez-vous, comme eût été Dieu même, si terrible et grand », v. 26-27, avec un enjambement qui insiste sur la grandeur de Ruy Blas, qui a paru sublime à la Reine. On pouvait alors rappeler que la notion de sublime est liée, pour les romantiques, à l’expression d’une grandeur, d’héroïsme tragique.
- On pouvait aussi commenter la didascalie et le fait que la Reine prenne la main de Ruy Blas : sur scène, le discours doit donc se faire de manière très rapprochée, autour d’un contact qui en redouble le lyrisme.
b) La description de la Reine, qui rejoue la scène qui vient de se terminer, est emprunte de marques de subjectivité (« Je vous voyais », « Vous me sembliez », « j’écoutais avec toute mon âme »), ce qui marque déjà l’engagement de la Reine pour Ruy Blas ;
c) Enfin, cet amour, qui semble naître et s’avouer dans la scène, paraît en même temps impossible : notamment du fait du contexte (Ruy Blas n’est pas un noble, et la Reine est déjà mariée). Ce caractère impossible de l’amour apparaît à la fin de la tirade de Ruy Blas, avec les interrogatives directes (« Que faut-il que je fasse ? ») et les exclamatives (« Pardonnez »). C’est par là qu’est introduit une forme de registre tragique, qui sera développée dans le reste de la pièce.
On pouvait conclure en soulignant la véhémence du style d’Hugo dans cette scène qui met l’accent, à travers enjambements et phrases courtes, souvent nominales, la passion qui soulèvent la Reine et Ruy Blas, qui s’expriment mutuellement leur sentiment.
Sujet 2 : Que gagne l’amour à être déclaré ?
La difficulté du sujet consiste à ne pas faire de listes de ce que l’amour gagne à être déclaré, mais à organiser son propos dans une argumentation cohérente. En l’occurrence, le problème pouvait être examiné à partir d’un amour non-déclaré :
- Un amour non-déclaré ne peut être reconnu, et on ne peut donc lui répondre : il gagne donc à être déclaré s’il veut être réciproque ; mais cette déclaration implique un risque, celui d’être refusé. En d’autres termes, le propre d’un amour non-déclaré, c’est l’incertitude subjective de l’agent sur les réactions de l’être aimé ;
- Un amour non-déclaré n’est pas extériorisé : c’est donc un amour obsessionnel, non verbalisé, ou seulement pour soi-même, et qui prend le risque du ressassement et de l’obsession ;
- Mais un amour non-déclaré est aussi un amour non altéré, qui reste le sentiment amoureux premier et donc ne risque pas d’être modifié. On pouvait donc se demander si l’amour ne risquait pas, à être déclaré, à être complètement transformé. En ce sens, le sujet invitait à questionner le rapport de l’amour au langage, dans un sens très particulier. Non pas simplement savoir si l’on peut dire l’amour, mais s’il n’est pas préférable de dire l’amour à l’autre, bien que cela implique un possible refus. On pouvait alors définir l’amour comme cet affect dirigé vers autrui, qui conduit à considérer autrui comme digne de son dévouement. Si l’amour ne peut être vécu comme réciproque s’il n’est pas déclaré, déclarer l’amour n’est-ce pas courir le risque d’une fin de l’amour ?
On pouvait organiser son propos en distinguant deux types de « gains » que l’amour aurait à être déclaré :
a- Des gains subjectifs, pour l’être amoureux ;
b- Des gains intersubjectifs, pour la relation entre l’être amoureux et l’être aimé.
I- La nécessaire extériorisation de l’amour :
a- On pouvait d’abord analyser le terme de déclaration : déclarer, c’est d’abord mettre en mots ses propres sentiments, c’est donc extérioriser un sentiment intérieur ;
b- Cette déclaration a donc comme première vertu de permettre à l’être aimé de se décharger d’un poids qui reste sinon intérieur. On pouvait analyser cette notion à partir de Platon, qui dans le Phèdre souligne la nécessité pour l’amant de parler, c’est-à-dire d’exprimer son sentiment interne, sous peine de souffrir de la blessure d’amour ;
c- L’extériorisation apparaît alors comme un remède à la blessure d’amour qui vient de l’autre, et l’on pouvait reprendre la situation de Ruy Blas, qui souffrait de son amour en silence et en cachette.
Toutefois, le Phèdre souligne aussi la difficile expression du sentiment amoureux, qui touche l’ineffable. En ce sens, le premier risque lié à la déclaration amoureuse est celui d’une impossibilité de vraiment dire ce qu’on a sur le cœur.
II- Les difficultés de la déclaration amoureuse et la difficulté de la communicabilité
a- L’amour est difficile à dire, d’abord parce que c’est un sentiment personnel, intérieur, qu’autrui peut donc difficilement comprendre, voire mal comprendre ;
b- La déclaration d’amour rencontre le problème général de l’adéquation du langage, général et pragmatique, à l’expression de sentiments individuels, qualitativement difficiles (les analyses de Bergson) ;
c- La déclaration d’amour est un discours essentiellement subjectif, qui exprime un sentiment intérieur, mais qui l’exprime à l’autre. La dimension intersubjective de cette déclaration l’ouvre au risque, à la possibilité de la mécompréhension, etc… Cette difficile communicabilité entre les êtres pouvait être illustrée de nombreux exemples littéraires de mauvaise compréhension.
D’un autre côté, même si l’amant risque d’être refusé lorsqu’il se déclare, sa déclaration le met en position différente : elle l’installe comme amant potentiel, dans une position de sincérité.
III- L’amour gagne à être déclaré, car il gagne en sincérité
On pouvait ici analyser le propre du langage amoureux envers autrui : il porte en lui une exigence de vérité, au sens existentiel.
a- Il manifeste, par son fait même, une forme de sincérité : puisqu’il est l’expression d’un sentiment intérieur, dont le dévoilement implique un risque ;
b- Il instaure une relation d’échange, avec autrui, que rend impossible le fait de garder son sentiment pour soi-même ;
c- Il permet de sortir du règne du secret décrit par Ruy Blas, et donc d’une relation potentiellement asymétrique en ce qui concerne la connaissance des motifs des agents.
Conseils : il est bon d’agrémenter le traitement du sujet d’exemples littéraires ou artistiques, qui permettent de thématiser à la fois les difficultés, les risques et les gains d’une déclaration amoureuse.
Auteurs possibles : Platon (sur les douleurs de l’amour non-exprimé), Kierkegaard (sur l’initiative propre à celui qui déclare son amour), Proust (sur les difficultés de l’amour secret).
Conclusion : On pouvait en somme résumer les deux types de gains que l’amour avait à se déclarer :
a- Des gains pour son développement : déclarer son amour, c’est lui donner la possibilité d’être réciproque et de se développer. On pouvait rappeler la tension, dans l’histoire de la philosophie de l’amour et dans la littérature, entre amour unilatéral et amour réciproque ;
b- Des gains pour le sujet même qui se déclare, du fait même de l’acte de déclaration.
Cependant, on devait souligner, en partant d’ailleurs de la fin de l’extrait de Ruy Blas, tous les risques inhérents à une déclaration qui, en ouvrant le cœur, le met aussi à découvert.