Lorsqu’on prend connaissance de la thématique « Rythmes et cadences de la vie moderne », on pense immédiatement au travail. Ce travail cadencé qu’est particulièrement l’usine et son travail à la chaîne.

Au XXe siècle, l’organisation de la production s’inspire des théories économiques de Taylor et Ford qui prônent une « organisation scientifique du travail ». Le taylorisme met en avant la répartition des tâches, le fordisme y ajoute le travail à la chaîne. Il n’y a alors plus besoin d’ouvriers qualifiés et autonomes qui gèrent eux-mêmes leur temps. Désormais, chaque ouvrier a des tâches limitées à effectuer sur un poste fixe, selon un temps donné pour respecter la cadence imposée de la production. Charlie Chaplin fait une satire de ce modèle d’usine en 1936 dans sa célèbre comédie Les Temps Modernes. Il y montre l’abrutissement des travailleurs ainsi que les conséquences psychologiques qui en découle.

Il y a là également la disparition progressive des métiers, ceux dans lesquels on se forme notamment par l’apprentissage. Cela n’est pas sans conséquence sur la valeur accordée au travail : l’ouvrier ne se rend désormais plus à l’usine que pour toucher sa paie à la fin de la semaine ou du mois. Il n’y a plus le plaisir mis à l’ouvrage. Joseph Ponthus, dans À la ligne (2019), tout comme Thierry Metz dans le Journal d’un manœuvre (1995), soulèvent cette question de l’utilité du travail et cette ambivalence entre le moyen de subsistance que l’on subit et la passion pour un métier qui nous permet de vivre ou qui est relayé au rang d’activité de loisir. Si Ponthus étudie dans son œuvre le monde de l’usine tandis que Metz relate lui celui du bâtiment, ils se rejoignent sur le postulat que l’on est ouvrier à la chaîne ou manœuvre pour un temps seulement, en attendant mieux, même si ce mieux n’arrive parfois jamais. Tous deux sont d’ailleurs intérimaires. On retrouve cette idée chez Annie Ernaux, dans La Place (1983) lorsqu’elle relate de façon minimaliste le parcours professionnel de son père. Alors même que de la fin du XIXe aux années 1960, être ouvrier était une fierté notamment par le fait d’appartenir à une classe sociale, Nicolas Mathieu, dans son roman noir Aux animaux la guerre (2014) dépeint les ouvriers comme les oubliés de la société, ceux qui ne sont plus rien et ne peuvent espérer aucune ascension sociale. Aujourd’hui, c’est le modèle de l’auto-entrepreneur qui fait figure honorable aux yeux de la société, quand ce n’est pas le métier d’influenceur.

On retrouve l’automatisation de tâches répétitives dans le tertiaire avec l’arrivée des grands magasins et des supermarchés, où cela n’a plus rien à voir avec le fait de tenir une épicerie dans un quartier où tout le monde se connaît. 

Parallèlement, c’est le temps de chacun qui devient réparti : le temps du travail, le temps du repos, le temps du transport, le temps en collectivité, le temps personnel, le temps pour soi. Et tout comme l’entreprise cherche la rentabilité, l’homme moderne va chercher à rentabiliser son temps. C’est ce que dénonce Carl Honoré dans son Éloge de la lenteur, écrit en 2004