Un cinéaste européen aux USA

L’hybridation entre les USA et l’Europe est pour beaucoup un processus d’appropriation : on s’inspire du style et des techniques tout en refaisant les choses « à l’américaine ». Après avoir mis en image les mythes germaniques, Lang s’est attaqué à ceux de l’Amérique en réalisant des westerns. Son approche stylistique et narrative a changé progressivement, passant de la mise en scène d’événements hors normes à celle du quotidien. Cela prouve que malgré des clashs et sa légende noire, il n’était pas contre de nouvelles approches – quand c’était lui qui le décidait. Il a inspiré Hitchcock et réciproquement. Ce glissement vers la sobriété a déçu nombre de fans, qui y ont vu la marque normalisatrice d’Hollywood. Certains happy ends incongrus en seraient la preuve, mais le réalisateur assumait ce côté parfois peu réaliste si cela permettait de souligner les thèmes abordés. À contre-courant, la France et les Cahiers du Cinéma ont toujours soutenu Lang pour sa dextérité dans la mise en scène.

Après la Première Guerre mondiale, Hollywood lance une politique ambitieuse de recrutement de talents étrangers, principalement britanniques et germaniques. Avec les studios UFA, ces derniers pesaient dans l’industrie cinématographique. L’arrivée au pouvoir des Nazis change la donne et force nombre de professionnels à l’exil – une manne pour les USA, même si l’intégration se fera plus ou moins bien. Le Maccarthisme et la paranoïa « anti-américaine » vont souligner des fractures dans la façon dont ces exilés se sont intégrés – ou pas. Habitué à beaucoup de liberté créative dans son travail, Lang s’est heurté à une machinerie qui lui offrait d’énormes moyens mais tout autant de contraintes. Lassé de ce système, il repartira un temps pour l’Europe mais en reviendra, déçu là aussi. Être immigré lui permettait malgré tout d’être plus critique vis-à-vis de l’Amérique, ses mythes, contradictions et autres vices cachés. Même sévérité autrefois envers l’Allemagne, autre patrie d’adoption.