Shakespeare domine incontestablement le genre de la féérie et deux de ses œuvres sont généralement considérées comme représentatives : Le Songe d’une nuit d’été (1595) et La Tempête (1610-1611). Dans cette dernière, nous sommes sur une île enchantée où règnent le magicien Prospéro, Ariel, l’esprit de l’air, et Caliban, fils d’une sorcière.

Dans Le Songe, deux univers s’opposent : le monde athénien dominé par Thésée qui prépare ses noces avec Hippolyte et, non loin de là, la forêt enchantée, où se chamaillent Titania, la reine des fées, et Obéron, le roi des elfes. En réalité, la frontière entre la vie réelle et imaginaire est plus qu’incertaine car Hippolyte est elle-même reine des Amazones et l’Athènes en question est une pure convention de théâtre. Le jeu théâtral est d’ailleurs lui-même représenté à l’intérieur de la pièce à travers une troupe de comédiens répétant Pyrame et Thisbé dans la forêt.

Inspirée par les fêtes de la saint Jean, la pièce raconte la folle nuit amoureuse de quatre jeunes athéniens dans les bois, orchestrée par le lutin Puck aux ordres d’Obéron. Alors que l’amour semblait impossible, deux couples se forment pendant la nuit. Éloge carnavalesque de l’amour sous toutes ses formes, la pièce est une fantaisie joyeuse car les fées et les lutins multiplient les facéties, mais c’est aussi une machine à créer le doute sur les limites entre le rêve et la réalité. Le genre de la « fantasy » continue aujourd’hui à s’inspirer régulièrement de cette œuvre.

L’Illusion comique (1635) est une pièce en cinq actes encore totalement baroque, mais pourtant considérée comme déjà gagnée par le goût classique. Corneille n’a pas trente ans quand elle est créée en 1635. Toute la pièce peut se lire comme un spectacle de prestidigitation au fond d’une grotte. En effet, un père à la recherche de son fils, Clindor, consulte Alcandre l’Enchanteur. Celui-ci lui fait voir par magie la vie menée par son fils. On apprend qu’après de nombreuses aventures, celui-ci est entré au service de Matamore et a acquis les faveurs d’une jeune fille de bonne famille, Isabelle, convoitée par d’autres soupirants. Mais la fin nous révèle que ce que nous voyions n’était qu’une pièce de théâtre jouée par Clindor, devenu comédien. Pièce à machines, L’Illusion comique est œuvre inclassable, un « caprice », une « galanterie extravagante », dira Corneille dans sa Dédicace, et dont l’intérêt principal est d’interroger les pouvoirs du théâtre.

Peer Gynt (1867) du norvégien Henrik Ibsen peut être considérée comme une féerie moderne. Elle constitue une exception dans son œuvre, globalement réaliste et familiale. Ici, au contraire, le dramaturge tire son inspiration dans le folklore populaire pour composer un poème dramatique en vers sur le thème de la recherche de soi. Le héros est un jeune homme qui traverse de nombreuses épreuves en de nombreux lieux divers et qui rencontre finalement l’amour. On a pu y lire une interrogation sur l’homme moderne et l’inanité de son être. La dimension féérique est surtout sensible dans les lieux et les personnages. À partir de l’acte II, le poème nous introduit dans un monde merveilleux, le royaume des Trolls où se trouve la fille du roi des Trolls et toute la cour.

Mais, à la fin, le merveilleux devient métaphysique car les personnages métaphoriques et les objets étranges se multiplient : l’homme qui s’est coupé un doigt, le cochon, les oignons sauvages, les pelotes, les soupirs, les gouttes de rosée, les brins de paille... Le final nous fait rencontrer le diable en personne. Comme dans L’Illusion comique, le monde merveilleux rejoint le théâtre : le roi des Trolls se révèle comédien. Comme dans Le Songe d’une nuit d’été, le spectateur peut considérer toute la pièce comme une illusion fantasmagorique, un rêve.