Les Carnets d’un chasseur

Ivan Tourgueniev est connu en France pour Premier amour. Mais il a écrit, avec Les Carnets d’un chasseur (1852), une œuvre caractéristique du réalisme russe qui a eu un succès immédiat et a fait la notoriété de son auteur. Vingt-quatre nouvelles du recueil constituent un ensemble assez discontinu, dont l’ordre pourrait sans dommage apparent être modifié. L’absence de composition à première vue est caractéristique de l’otcherk, c’est-à-dire du genre des « choses vues ».
De fait, Tourgueniev s’est d’abord inspiré de son expérience de chasseur : il raconte ses promenades dans la campagne russe et ses rencontres. Alors, il décrit les visages, les voix, les vêtements : les portraits sont d’une justesse parfaite, écoute les conversations, des tavernes, s’intéresse aux histoires. C’est l’occasion néanmoins d’aborder des questions sociales d’importance (la condition paysanne), mais aussi politiques (le servage et l’état d’arriération des campagnes), toutefois sans discours.
Le propos est pourtant très clairement militant : l’œuvre prend parti en faveur de l’abolition du servage et rend lisible le besoin de profondes réformes de la condition paysanne.

Récits de la maison des morts

Dostoïevski a été incarcéré pendant quatre ans au bagne, de 1850 à 1854. Les Récits de la maison des morts sont parus pendant son incarcération. Il avait publié Les Pauvres gens et quelques nouvelles, mais, à son retour, il était presque oublié. C’est alors, en 1859, qu’il écrit ces Récits, un tableau saisissant de la vie du forçat en Sibérie : aussitôt, la nation entière reconnaît son talent.
Pourtant, ces récits ne sont pas présentés comme des souvenirs autobiographiques ; Dostoïevski s’efface. « Ce sont les mémoires d’un inconnu » écrit l’auteur à son frère en 1859. Comme les Carnets de Tourgueniev, il s’agit de textes non reliés les uns aux autres par une trame narrative, mais néanmoins fortement solidaires par le thème et le ton.
Il est question, en détail, des conditions matérielles, du travail, de l’absence de solitude, de scènes d’ivresse et de violence, de la haine pour les intellectuels, de l’hôpital. Très tôt, cependant, Dostoïevski a cherché à comprendre les autres forçats, sans pratiquer le mépris et l’œuvre est une galerie de portraits extraordinaires.
La portée de cette œuvre est fortement politique : de même que Tourgueniev en appelle à l’abolition du servage, l’auteur alerte sur les conditions de déportation sous Nicolas Ier. Une autre Russie est apparue, celle des suppliciés et Dostoïevski en est devenu le porte-parole.

Eugénie Grandet

Le roman de Balzac a plus d’un rapport avec l’œuvre de Dostoïevski et même avec Les Récits où apparaît une sorte de Vautrin russe. Néanmoins, l’œuvre (que Dostoïevski a traduite en 1844) appartient clairement au genre de la fiction et non au genre de la littérature du document. Deux personnages fortement typisés et offrant un contraste net conduisent l’intrigue : le vieil avare et sa fille angélique. Eugénie vit sous la coupe de son tyran de père jusqu’au jour où l’amour lui ouvre les yeux, elle se rebelle alors contre son autorité et prend conscience de toute l’inanité de sa vie de recluse, perdue dans ses rêves.
Le réalisme ici se situe dans la description très précise et satirique de la vie de province (que représente Saumur). Mais il n’est pas l’opposé de la fiction, au contraire il la suppose : pour arriver à représenter la totalité du réel, Balzac procède par compression (c’est le principe du personnage type) et par simplification : il crée une logique implacable, celle des passions absolues qui déclenchent des ravages.