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Les genres de l’argumentation

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Les genres de l’argumentation

Certains genres littéraires sont dits argumentatifs dans la mesure où ils défendent une ou plusieurs thèses de façon indirecte ou directe.

  • Les apologues sont de courts récits émettant une thèse ou une morale indirectement : c’est le cas, par exemple, de la fable (court récit imagé, La Fontaine) et du conte philosophique (récit imaginaire à la structure simplifiée).
    L’utopie (représentation d’une société idéale et imaginaire proposant un modèle social) est également un genre argumentatif indirect.

  • L’essai, texte en prose proposant une réflexion personnelle sur des thèmes abstraits, argumente directement. Il en va de même pour le discours, le pamphlet, la maxime (argumentation à visée universelle), l'article de presse ou l’article de dictionnaire dont la définition d’une notion peut servir de prétexte à l’expression personnelle d’une thèse.

L’apologue

L’apologue, du grec « apologus » signifiant « petit récit », est un récit allégorique, plus ou moins court, à visée morale. L’apologue est à rapprocher essentiellement de la fable et du conte, même s’il est présent dans d’autres genres comme le roman et la nouvelle, ou encore le théâtre.

Concernant la nouvelle, l’exemple le plus probant reste le Décaméron (1349-1353) de Boccace (1313-1375) dont Marguerite de Navarre (1492-1549) s’inspirera plus tard pour rédiger son Heptaméron (commencé en 1516), pour la valeur morale de leurs récits.

La fonction première de l’apologue est de divertir au moyen d’un récit plaisant censé susciter la curiosité du lecteur et de livrer un enseignement essentiellement moral. L’apologue se caractérise par :

    1. Sa forme brève, en prose ou en vers, accompagnée d’une moralité plus ou moins explicite qui doit conduire le lecteur à réfléchir. Cette morale est clairement exprimée dans les fables, mais reste souvent implicite dans les contes, même si, dans de nombreux contes de Perrault (1628-1703), les récits sont suivis de deux moralités.

    2. Un récit qui permet à l’auteur de défendre ses idées. Dans son conte philosophique, Candide ou l’optimisme (1759), Voltaire critique la théorie de l’optimisme et dénonce, entre autres, le fanatisme religieux et l’esclavage.

    3. Un récit plaisant qui transporte le lecteur tout en le conduisant à mener une réflexion sérieuse. Ainsi, dans Histoire des oracles (1687), et plus particulièrement dans le passage consacré à « la dent d’or », Fontenelle (1657-1757) met en œuvre l’art de l’apologue pour dénoncer les superstitions et la croyance aveugle au merveilleux.


L’apologue a une valeur ludique et didactique (récit et moralité) et peut aussi avoir une fonction critique, voire polémique. C’est un genre historiquement ancien qui remonte à l’Antiquité et plus précisément à Platon. On peut d’ailleurs estimer que l’apologue est plus ancien encore puisqu’il endosse une dimension religieuse à travers la parabole, c'est-à-dire en transmettant une morale au travers d’un vécu : l’apologue peut faire admettre un dogme comme c’est le cas dans les Évangiles.

Le conte

Proche de la fable, le conte vient d’une tradition orale et populaire. Il se définit comme un récit merveilleux et très souvent extraordinaire. Il témoigne d’une grande simplicité dans l’écriture, mais s’avère riche de symboles à décrypter.

Tout comme la fable, le conte est construit selon le même schéma : état initial, élément perturbateur, déséquilibre et état final. De plus, la schématisation des personnages rappelle également ceux des fables : ils évoluent dans un contexte merveilleux et s’inscrivent dans une temporalité mal définie, même si la plupart des contes se situent dans un contexte médiéval.

Cependant, ce type de récit connaît quelques variantes : le conte traditionnel ou le conte merveilleux, le conte philosophique, et plus tard le conte fantastique et le conte gothique.

    1. Le conte traditionnel est certainement le plus connu de tous. Au départ, il s’agit d’une histoire racontée oralement où la magie, les fées, les sorcières et les hommes sont mis en relation, où les animaux sont dotés de parole et dialoguent avec les humains qui, comme les objets, peuvent se métamorphoser. Par ailleurs, appelés aussi contes de fées, ces récits mettent en scène des femmes dotées d’un pouvoir magique, tantôt bénéfique, tantôt maléfique. Elles endossent alors un rôle particulier, incarnant une conscience morale, un jugement divin qui met à l’épreuve le libre arbitre des personnages, récompensés ou punis selon leurs actions vertueuses ou mauvaises. Le succès des contes n’est pas un phénomène essentiellement occidental. Les contes orientaux et notamment les Mille et Une Nuits ont considérablement influencé ce genre. En Europe, le conte merveilleux rencontre un grand succès. Ces récits anonymes sont rassemblés, dès le XVIIe siècle, par Charles Perrault. Au XIXe siècle, ils sont repris en Allemagne par les frères Grimm et au Danemark par Hans Christian Andersen (1805-1875), créateur de la Petite Sirène.

    2. Le conte philosophique emprunte, dans sa forme, les caractéristiques du genre traditionnel. Dans Candide de Voltaire, les marques du genre sont présentes dès le chapitre I – « Il y avait en Westphalie, dans le château de Monsieur le Baron de Thunder-Ten-Tronckh… » -, ce qui rappelle la formule « il était une fois » des contes traditionnels, le pays lointain et le château. À travers le merveilleux qu’il met en scène, le conte soulève une réflexion critique.


Dans la veine de l’esprit du XVIIIe siècle, le conte sert à remettre en cause les institutions, à critiquer la tradition et à dénoncer les abus. Le conte devient une arme de contestation pour les philosophes des Lumières. La temporalité n’est pas clairement donnée. « Il y avait », « Au temps de » inscrivent l’action dans un temps ancien, imprécis, mais les caractéristiques évoquées renvoient souvent à l’époque de l’auteur : dans Candide, le démonstratif « icelui » présent dans le titre du chapitre laisse penser que l’action du conte se situe dans une temporalité lointaine, toutefois les références faites à la religion, à l’aristocratie et à la théorie de l’optimisme se rapportent à l’époque de Voltaire. L’auteur propose aussi des décors merveilleux qui revêtent une dimension symbolique : l’Eldorado renvoie à la notion d’utopie.

De plus, les récits exotiques étant à la mode au XVIIIe siècle, le conte philosophique répond à ce critère : la plupart des contes se situe dans des contrées lointaines tel que l’Orient - Zadig (1747), L’Histoire d’un bon bramin (1759), La Princesse de Babylone (1768).

Par ailleurs, les personnages renvoient à ceux des contes traditionnels : ce sont des personnages stéréotypés, décrits de façon lapidaire et toujours confrontés à des épreuves. Leur nom renvoie généralement à un trait physique ou de caractère. Candide fait référence à la candeur, la naïveté du héros ; Pangloss (du grec « pan » signifiant tout et « glossa », la langue) est celui qui est « tout en langue », qui ne fait que parler ou qui parle pour ne rien dire…

Mais le conte philosophique est surtout une arme au service de la contestation. Toutes les marques du genre traditionnel sont au service de la réflexion critique. Tous les événements, toutes les péripéties se rapportent à la société du XVIIIe siècle : guerres, intolérance, fanatisme, esclavage, torture, problèmes politiques et sociaux… Dans L’Ingénu (1767), Voltaire se penche sur le comportement contestable des hommes d’Église, sur l’injustice. Les personnages sont aussi mis au service de la contestation puisqu’ils évoquent les grands thèmes propres au siècle : Zadig ou la Destinée, Candide ou l’Optimisme… Les contes philosophiques mettent en œuvre un grand nombre de procédés rhétoriques pour toucher davantage le lecteur : ironie, antithèse hyperbole… qui permettent de saisir, sous l’apparence merveilleuse du conte, une dénonciation des tares de la société.

La fable

La fable, du latin « fabula » signifiant « propos et récit », est un petit récit, le plus souvent rédigé en vers, qui se termine par une morale et mêle divertissement et réflexion critique. La fable doit donc permettre de présenter une vérité morale à l’aide d’une forme plaisante.

Ses origines sont lointaines et variées : elles remonteraient, dans un premier temps, à l’Antiquité grecque avec l’esclave phrygien Ésope (VIe siècle av. J.C.) - dont la véritable existence est contestée - qui retranscrivait, sous forme de petits récits moraux, des scènes de la vie quotidienne. Plus tard, le latin Phèdre (Ier siècle ap. J.C.) reprend la plupart des textes d’Ésope, les récrit en vers et en compose d’autres. Les fables indiennes ont aussi beaucoup apporté au genre, plus particulièrement le Panchatantra, recueil anonyme réunissant des apologues rédigés en sanskrit aux alentours des années 700.

Au XVIe siècle, en Italie, Abstemius entre lui aussi dans le cercle des fabulistes et offre un apport considérable à ses successeurs tel que La Fontaine (1621-1695). Au IVe siècle av. J.C., Ésope compose une fable en prose : « Les grenouilles qui réclamaient un roi », reprise par Phèdre au Ier siècle av. J. C. sous le titre « Les grenouilles qui demandent un roi », récrite et mise en vers par La Fontaine dans « Les grenouilles qui demandent un roi ». Les trois textes, malgré de nombreuses différences, mènent une réflexion politique propre à chaque époque et témoignent de l’influence de la tradition ancienne. Les fables puisent leurs thèmes dans les domaines publics et privés. Dans « Les Animaux malades de la peste », La Fontaine s’intéresse au domaine public, celui de la cour. Dans « La Jeune Veuve », il s’intéresse au domaine privé, et plus particulièrement à celui des sentiments.

L’une des fonctions de la fable est de transporter le lecteur dans un univers imaginaire où, par un juste retour des choses, il peut s’identifier à la situation évoquée et y réfléchir. Les fables sont des récits symboliques menés chronologiquement, dont les personnages sont généralement des animaux ou des humains stéréotypés qui permettent une transposition dans le monde réel. Les animaux sont chargés de signification symbolique. Ils permettent une transposition des comportements et des caractères : la cruauté est symbolisée par le loup, la ruse par le renard, la puissance par le lion, l’innocence par l’agneau. Ce symbolisme permet de décrypter le monde humain. Les personnages humains occupent aussi une place importante dans les fables ; ils incarnent les catégories types auxquelles ils appartiennent : Un Seigneur, Une veuve, Un berger, Un sage…

La construction de la fable répond à un schéma simple : situation initiale, élément perturbateur, situation finale. Elle a la particularité de comporter une moralité avant ou après le récit. Lorsqu’elle précède le récit, la morale fait office d’introduction à l’histoire relatée. Comme c’est le cas dans « La Jeune Veuve » où la morale, qui occupe les quinze premiers vers, fait office d’introduction. Les thèmes traités sont ceux de la vie sociale et politique : les abus de pouvoir, les injustices, l’hypocrisie, les conflits familiaux, la solitude, la mort, le veuvage…

L’essai

L’essai est un genre littéraire caractérisé par une littérature en prose, argumentative où la présence de l’auteur est nettement marquée par l’utilisation de la première personne. Dans son essai intitulé L’Éducation des filles (1933), François Mauriac (1885-1970) utilise la première personne et fait référence à son expérience personnelle de père pour réfléchir sur le problème.

L’essai utilise le plus souvent une écriture personnelle à travers laquelle l’auteur livre une réflexion, voire ses impressions. Dans De l’Éducation des filles (1727), Fénelon (1651-1715) apporte son jugement en critiquant l’éducation donnée aux filles et aux garçons. Il en vient même à accuser les mères de négligence et d’ignorance face à la façon d’éduquer leurs filles.

Les sujets traités sont essentiellement d’ordre philosophique, moral, politique, artistique et parfois religieux. On considère que c’est Montaigne (1533-1592) qui crée le genre en intitulant son œuvre Essais. Ses Essais sont composés de 107 chapitres répartis en trois livres qui suivent le cheminement de la pensée et embrassent toutes les préoccupations humaines. Le travail de l’essayiste rejoint celui de l’homme sur lui-même. Il condamne tout ce qui constitue une atteinte à l’intégrité humaine. Il analyse les faiblesses de la nature humaine et ses imperfections. Il mène une réflexion sur la formation possible de l’homme : la pédagogie - dans le chapitre I, par exemple, il s’interroge sur une nouvelle conception de l’instruction pour les enfants -, les voyages : il propose une réflexion sur ce qu’apportent les voyages, sur la confrontation des civilisations, sur la notion de barbarie.

Par la suite, le genre se développe et l’auteur prend de plus en plus position et défend des théories. Les Pensées (1670) de Pascal (1623-1662) qui défend la foi chrétienne en dénonçant ce qui nuit à la raison ; l’imagination, en proposant une image de la condition humaine et de l’homme sans Dieu, perdu entre deux infinis. Emile ou de l’Education (1762) de Rousseau (1712-1778) propose une réflexion et un modèle d’éducation à travers cinq livres correspondant aux cinq étapes de l’évolution d’Emile. Ecrits sur l’Art (1855) de Charles Baudelaire (1821-1867), essai dans lequel Baudelaire s’impose en critique d’art et en observateur des évolutions de son époque. Il expose aussi une conception personnelle des différents peintres et différents tableaux qu’il évoque. Dans le Deuxième sexe (1949), Simone de Beauvoir (1908-1986) expose sa thèse féministe. Elle y dénonce la condition des femmes, leur éducation : « On ne naît pas femme, on le devient », mais aussi la supériorité de l’homme dans la société. Elle veut définir un portrait de la femme libérée et indépendante.

L’auteur s’efforce, à travers l’essai, de convaincre ses destinataires du bien-fondé de ses positions. Montaigne, dès le début des Essais, s’adresse directement à son lecteur, en le nommant et en le tutoyant pour exposer ses raisons d’écrire :

« C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dès l’entrée que je ne m’y suis proposé aucune fin que domestique et privée ».

Il propose aussi une délibération sur un sujet qu’il veut éclairer différemment. Dans la partie des Essais intitulée « Des cannibales », Montaigne veut faire réfléchir sur la notion de civilisation :

« Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».

Il invite ainsi son lecteur à considérer différents points du vue.

Un essai peut refléter la subjectivité de son auteur qui apparaît à travers un lexique plus ou moins mélioratif. Certains auteurs considèrent l’essai comme le moyen de mettre à l’épreuve leurs pensées et de vérifier leur pertinence. Le genre apparaît alors comme une démarche de recherche intellectuelle.

Pamphlet, discours et autres formes d'argumentation directe

Voici d'autres formes d'argumentation directe :

  1. Le pamphlet

Le pamphlet se présente sous la forme d’un récit court à visée critique ou satirique, plutôt bref dont la violence du style permet d’attaquer une institution ou un personnage public.

Exemple :

  • De l’Esprit des Lois, XV, 5 (1748) de Montesquieu (1689-1755) où l’auteur attaque la thèse esclavagiste.
  1. Le traité

Le traité est un texte didactique à dominante démonstrative et porte sur l’analyse d’un sujet précis.

Exemple :

  • Le Traité sur la peinture de Léonard de Vinci (1452-1519) dans lequel l’artiste propose un exposé technique sur la peinture ;
  • Le Traité sur la tolérance (1763) de Voltaire (1694-1778), dans lequel le philosophe dénonce l’injustice et le fanatisme.
  1. Le discours

Proche du traité, le discours est aussi un genre à visée didactique.

Exemple :

  • Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), essai philosophique dans lequel Rousseau s’interroge sur les fondements de la civilisation.
  1. Le manifeste

Le manifeste est un texte qui constitue une déclaration dans laquelle des personnes présentent leurs objectifs.

Exemple :

  • Manifeste du Futurisme (1909) où l’auteur, Marinetti (1876-1944), présente la démarche artistique, littéraire, philosophique et politique du futurisme.
  1. La lettre

La lettre, généralement adressée à un destinataire réel que l’on veut convaincre, est souvent propice au débat dans la mesure où elle implique une réponse. Elle peut aussi prendre la forme d’une lettre ouverte, publiée, qui s’adresse ainsi au plus grand nombre.

Exemple :

  • « J’accuse » de Zola (1840-1902), lettre adressée au président Félix Faure, publiée le 13 janvier 1898 dans le journal L’Aurore, pour dénoncer l’injustice concernant l’« Affaire Dreyfus ».
  1. La préface

La préface, placée au début d’une œuvre, permet à l’auteur de défendre ou de présenter ses choix d’écriture.

Exemple :

  • Préface de Pierre et Jean (1888) de Maupassant (1850-1893), dans laquelle l’auteur expose les grandes lignes de l’écriture réaliste.

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