Voici une présentation succincte de deux portraits célèbres présentés par La Bruyère dans le chapitre XI, « De l’homme » :

Ménalque représente la caricature du distrait. Il s’agit d’un portrait vivant, au présent de narration, in media res (cela signifie que le lecteur est plongé directement dans une action sans explication) comme en témoigne le début : « Ménalque descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme: il s'aperçoit qu'il est en bonnet de nuit […] ».

Le portrait de Ménalque est donc construit en mouvement, avec un enchaînement d’actions plus loufoques les unes que les autres, suivant une sorte de gradation puisqu’il finit par se tromper de logis, prendre ses aises et trouver que l’homme qui lui rend visite, le véritable maître de maison, est un homme envahissant.

Ce portrait est comique, très théâtralisé, assez drôle et nous rappelle des personnages de la farce moyenâgeuse que l’on peut aussi retrouver chez Molière. Toutefois, derrière le comique de caractère et celui de situation, La Bruyère nous laisse entrevoir la peinture de la cour. En effet, le comique tourne vite au pathétique car Ménalque n’est pas un personnage attachant, il est arrogant, impoli, vaniteux et vide. Seul le paraître l’emporte.

Le portrait d’Irène est un portrait très court, rythmé, construit comme un dialogue d’abord au discourt indirect puis au discours direct entre Irène et l’oracle qu’elle est venue consulter. De prime abord, ce portrait a des allures de conte : « Irène se transporte à grands frais en Épidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux. » Mais très vite, le dialogue tourne à la farce puisque face à la litanie des maux d’Irène, l’oracle fait simplement preuve de bon sens en lui recommandant des principes de vie saine comme dans cet exemple : « Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, et quelque fois se servir de ses jambes pour marcher. » L’oracle use d’un ton moqueur, ironique, multiplie les évidencesterminant sans ménagement par un « Le plus court, c’est de mourir ».

Proche donc d’un extrait d’une farce ou d’un extrait de comédie, l’ensemble de ce portrait constitue pourtant une sorte d’apologue, c’est-à-dire un récit distrayant proposant une morale. En outre, comme pour Ménalque, se dessine en arrière-plan une critique des habitudes d’opulence de vie de la cour : manger à l’excès, dormir trop longtemps, ne pas suffisamment marcher… Se cache semble-t-il derrière le portrait d’Irène la très célèbre maîtresse de Louis XIV, Madame de Montespan qui était hypocondriaque et obsédée, dit-on, par la mort et la vieillesse.