Manon Lescaut

   Le roman de l’Abbé Prévost a connu différentes modifications, car il a suscité de nombreuses controverses lors de sa sortie, obligeant régulièrement son auteur à s’amender. Il fait partie d’un vaste ensemble intitulé Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde.

   Personnage éponyme du roman, Manon est une jeune fille aux mœurs dissolues. Le récit de ses amours tumultueuses avec le chevalier des Grieux est pris en charge par un narrateur, un « homme de qualité » nommé Renoncour.

   La première rencontre a lieu à Pacy, un petit bourg de Normandie. Le narrateur est intrigué par une jeune femme hirsute, condamnée, comme une douzaine d’autres, à s’embarquer pour l’Amérique. Il se renseigne et est invité à interroger un homme à fière allure, visiblement follement amoureux de la jeune femme, qui lui dévoile son identité, le chevalier des Grieux. Ce dernier avoue à Renoncour avoir dépensé toute sa fortune pour Manon. Il se voit aidé financièrement par l’homme de qualité.

   Deux ans plus tard, les deux hommes se rencontrent à nouveau. Débute alors le récit du chevalier. Sa vie, comme celle de Manon, n’est que mensonges, trahisons et meurtres.

   Au début du récit, Des Grieux a dix-sept ans. Bien né, il affiche son dédain envers les petites gens et profite de sa situation sociale pour se sortir de circonstances défavorables. En rencontrant Manon, il est psychologiquement métamorphosé. Le jeune homme alors timide devient de plus en plus aventureux, n’hésitant pas à entrer dans l’illégalité ni à manipuler son fidèle ami Tiberge.

   De Manon, le lecteur ne saura pas grand-chose, tant elle n’est aperçue qu’à travers les yeux de Des Grieux. D’une famille modeste, elle a un an de moins que le héros au début du roman et est promise au couvent par sa famille. Sa beauté, selon son amant, est extraordinaire… son caractère également. Elle veut goûter aux plaisirs de la vie sans relâche, découvrir le luxe. Jusqu’à la fin du roman, elle reste mystérieuse. Elle se prostitue, puis se reproche ses nombreuses inconstances amoureuses.

   C’est cet étrange couple qui fait la saveur du roman et que Montesquieu, en son temps, résumait ainsi : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin […], plaise. »

   L’intrigue du roman de l’abbé Prévost se déroule en 1712, sous la fin du règne de Louis XIV, principalement marqué par un durcissement vis-à-vis de la religion et notamment la révocation, quelques années auparavant, de l’édit de Nantes. Cette austérité bannit en quelque sorte les plaisirs terrestres et instaure une rigueur morale que le roman ignore, notamment ses personnages jouisseurs.

   Mais le siècle de Manon Lescaut, le XVIIIe, est aussi celui qui voit émerger dans sa seconde moitié le mouvement libertin, désireux de s’affranchir des règles morales imposées par la société. De Crébillon fils à Choderlos de Laclos, les personnages de ces fictions placent au centre de leurs préoccupations l’exaltation sensuelle, prenant plaisir à transgresser l’ordre moral par leurs mœurs dissolues. Cette recherche effrénée de la volupté est revendiquée et assumée par Manon, l’héroïne du roman, mais laisse cependant une place non négligeable au sentiment amoureux, notamment à la fin du récit.

   Le roman de l’abbé Prévost ne se laisse guère enfermer dans un genre particulier. À travers ses deux personnages, il s’inscrit d’emblée dans le roman d’aventures. Sans cesse poussés par le désir de fuir ou par celui de découvrir de nouveaux horizons, Manon et Des Grieux se lancent à corps perdu sur les routes, entendant échapper aux contraintes que leur imposent leurs parents. Au fil de leur épopée, se dévoile un deuxième aspect du roman, le miroir d’une société marquée par la fin du règne de Louis XIV et par l’imposition d’une rigueur morale. Le lecteur découvre ainsi les dessous du monde ecclésiastique, ceux des triviales auberges et des mondanités parisiennes comme le théâtre de la Comédie-Française ou les jardins du Luxembourg. Mais on n’oubliera pas non plus que Manon Lescaut relève également du roman sentimental dans lequel la passion amoureuse dévorante l’emporte sur la morale et la raison, Des Grieux, au final, ne regrettant rien de son amour immodéré et dévastateur pour l’héroïne.