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L’œuvre – Les Caractères (1688)

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L’œuvre – Les Caractères (1688)

En 1688, La Bruyère publie Les Caractères ou Mœurs de ce siècle, son unique œuvre, fruit de ses observations sur l’homme et la société de son époque. Très controversée, elle a autant de succès qu’elle fait scandale mais si elle révèle les talents de moraliste de son auteur, elle révèle surtout son génie pour croquer les portraits de ses contemporains avec ironie dans un style étonnamment vif et mordant.

Avec Les Caractères, La Bruyère se retrouve également au cœur de la querelle des Anciens et des Modernes. Du côté des Anciens, il prendra sa revanche lors de son discours d’entrée à l’académie française en 1693.

La Bruyère présente Les Caractères comme un prolongement des Caractères de l’auteur grec Théophraste datant de 319 avant J.-C. qu’il traduit d’ailleurs en première partie de son ouvrage puis viennentLes Caractères ou Mœurs de ce siècle représentant XVI chapitres, 420 remarques, une douzaine de portraits et des jugements.Cependant, Les Caractères de La Bruyère s’apparentent davantage aux Pensées de Pascal, publiées peu de temps avant, dont La Bruyère fait d’ailleurs référence dans son ouvrage. Entre 1686 et 1696, plusieurs éditions Des Caractères voient le jour revues, corrigées et augmentées par son auteur. En 1696, l’ouvrage est constitué de 1120 remarques. La Bruyère meurt en 1696, pauvre, car il avait versé l’intégralité de sa part des ventes à la fille de son libraire.

Le livre XI, « De l'Homme »

Après la peinture morale, sociale et politique de son temps, en tant que moraliste, La Bruyère place un chapitre intitulé « De l’homme » dans le but de saisir le caractère humain à travers son atemporalité et son universalité.

Sous prétexte de réclamer l’indulgence du lecteur, La Bruyère ouvre le chapitre XI en énumérant les défauts de l’être humain : « Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l’amour d’eux-mêmes et l’oubli des autres : ils sont ainsi faits, c’est leur nature […] »

Dans la remarque suivante, l’auteur souligne par ailleurs la constance de l'homme à être mauvais : « […] ils gardent leurs mœurs toujours mauvaises, fermes et constants dans le mal, ou dans l’indifférence pour la vertu. »

La suite du chapitre XI alterne remarques et portraits. De nombreuses remarques s’attardent sur le fait que bien que l’homme aime la vie, il n’emploie pas son temps sur terre à bon escient :

  • « Il n’y a pour l’homme que trois événements : naître, vivre et mourir ; il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. »
  • « Le regret qu’ont les hommes du mauvais emploi du temps qu’ils ont déjà vécu ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage. »
  • « La vie est courte et ennuyeuse, elle se passe toute à désirer. L’on remet à l’avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les désirs : on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint ; si l’on eût guéri, ce n’était que pour désirer plus longtemps. »

Malgré les apparences, La Bruyère ne s’accorde pas avec les stoïciens : le stoïcisme est un courant philosophique grec de l’Antiquité prônant la vertu pour atteindre le bonheur.

Au début du chapitre XI, La Bruyère s’en prend aux stoïciens : selon lui, le stoïcisme n’est qu’une illusion, « un jeu d’esprit », « fantôme de vertu et constance ». Pour La Bruyère, l’impassibilité recherchée par les stoïciens conduit au détachement et à l'indifférence. Or, s’il veut être meilleur, l’homme doit avant tout se corriger.

À propos du genre, à propos du style

À l’instar de Molière ou des moralistes classiques de son temps comme La Fontaine ou La Rochefoucauld, La Bruyère entend peindre, à travers une forme d’écriture fragmentaire que sont les maximes et les caractères, la nature de ses contemporains pour les corriger de leurs défauts ainsi qu’il l’écrit dans sa Préface :

« [L’homme] peut regarder avec loisir ce portrait que j’ai fait de lui d’après nature, et s’il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s’en corriger ».

L’écriture fragmentaire est l’union de la pensée et du style. En cela, Les Caractères de La Bruyère représente un travail minutieux et colossal puisque l’auteur livre, à chaque fois, l’aboutissement d’une réflexion condensée dans une tournure piquante et élégante. Cette masse de travail nous renvoie, par ailleurs, à cette célèbre recommandation de Nicolas Boileau dans son Art Poétique, datant de 1674, à l’adresse de ce que l’on pourrait nommer « les artisans de l’art » dont La Bruyère est un digne représentant :

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et sans cesse effacez.

En outre, l’originalité des Caractères de La Bruyère est d’avoir mêlé 2 genres littéraires créant, grâce à l’alternance un rythme plaisant et une forme de dialogue distrayante :

  • La maxime : formule brève énonçant une règle de morale, de conduite, une sentence, une vérité indiscutable…

Ex. : « Toute révélation d’un secret est la faute de celui qui l’a confié. », De la Société et de la conversation, Chapitre V.

  • Le portrait ou caractère : peinture d’un personnage à clé (que l’on peut normalement reconnaître) porteur, chez La Bruyère, d’un trait de caractère identifiable, souvent condamnable. Ces portraits sont des portraits moraux satiriques.

Ex. : Même si le chapitre II « Du mérite personnel » n’est pas au programme, les portraits d’Egésippe, Mopse, Ménippe et Philémon sont des grands modèles du genre. Par exemple, Philémon, parce qu’il est tout cousu d’or, paré des plus beaux bijoux et parade en grand équipage, voudrait qu’on l’admire. Or, l’argent ne fait pas ni l’esprit ni la gloire :

« Tu te trompes, Philémon, si, avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l’on t’en estime davantage : l’on t’écarte tout cet attirail qui t’est étranger, pour pénétrer jusqu’à toi, qui n’es qu’un fat ». (fat = sot)

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