Même s’il n’y a pas de structure précise dans Les Caractères, une gradation se dessine dans les chapitres au programme vers le plus haut rang de la société. La bourgeoisie est représentée dans le chapitre VII intitulé « La Ville », suivi par « La Cour », chapitre VIII, puis « Les Grands » chapitre IX et enfin, « Du Souverain ou de la République », chapitre X.
La société est hiérarchisée, figée, autocentrée sur elle-même ; chacun gravite dans un monde d’apparences perfides dans l’unique espoir de plaire et de se rapprocher du roi et des nobles de hauts rangs. L’analogie philosophique entre le monde, autant dire la Cour pour La Bruyère, et le théâtre qui a parcouru les siècles et les arts depuis l’Antiquité s’impose naturellement puisque chacun joue un rôle et porte son plus beau masque pour plaire tels qu’apparaissent les courtisans Théodote, Cimon et Clitandre.
La Bruyère accorde deux chapitres entiers, les chapitres VIII et IX, aux Grands, c’est-à-dire les nobles de la plus haute lignée que l’auteur a eu tout le loisir d’observer chez Les Condé. Ce sont les Princes, les parents et les proches du Roi. Cette haute noblesse de sang à laquelle La Bruyère oppose la noblesse d’âme se révèle cruelle, dépourvue de qualités humaines, vaniteuse, orgueilleuse, ambitieuse, méprisante à l’égard de ceux qui ne sont pas de leur monde et d’une hypocrisie sans bornes à l’image de Théognis.
La Cour se constitue du reste de la noblesse. Quant à la ville, elle représente la bourgeoisie qui déverse sur le peuple un mépris identique à celui de la noblesse à son égard.
À propos de la cour, « L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs, ni politesse… » Ainsi débute le voyage au pays de la cour décrit par le regard d’un narrateur étranger à ses pratiques. Ce procédé a pour but de souligner l’absurdité de leur mode de vie comme dans cet exemple célèbre à propos du port de la perruque : « Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête […] ». Ce procédé nommé « fiction ironique » permet surtout une satire virulente de la cour et de ses mœurs qui sera reprise par Montesquieu dans Les Lettres Persanes ou par Voltaire dans Micromégas ou encore dans L’Ingénu. En cela, La Bruyère annonce les auteurs des Lumières du XVIIIe.
Quant au roi, dans le chapitre X « Du Souverain ou de la République », La Bruyère propose à la place d’une monarchie absolue de droit divin une monarchie patriarcale : « Nommer un roi PERE DU PEUPLE est moins faire son éloge que l’appeler par son nom ».