À l’instar d'Erasme, humaniste hollandais avec lequel Rabelais a entretenu une correspondance et qui est l’auteur d’un traité intitulé De l’Education des enfants en 1529, l'auteur de Gargantua soutient la pensée que le rire permet d’amener de façon plaisante une critique de la société et des institutions de son époque mais aussi de susciter intérêt et réflexion. L’idée n’est pas neuve. Les apologues tels que les fables fonctionnent sur ce modèle. Toutefois, chez Rabelais, il ne s’agit pas d’un comique léger et subtil, bien au contraire, l’écrivain manie un comique grossier souvent scatologique (= faisant référence aux excréments) et parfois licencieux que certains qualifieront aisément de populaire voire même de vulgaire.
Dans L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance – ouvrage de référence sur Rabelais, le théoricien russe Mikhaïl Bakhtine affirme que, chez notre auteur, la culture populaire ainsi que les multiples références au comique grossier sont une arme contre la culture officielle de son époque, c’est-à-dire la scolastique.
Par exemple, dans le texte portant sur l’éducation de Gargantua, le moment choisi dans la journée par le précepteur pour commenter « les points les plus obscurs et difficiles » des écritures saintes correspond au moment où le personnage « se retirait aux lieux d’aisance pour se purger de ses excréments ».
Selon Bakhtine, pour contrer le sérieux et le côté sclérosé de la scolastique, Rabelais juxtapose dans Gargantua des éléments sérieux avec des éléments qui lui sont totalement opposés afin de créer un effet de renversement. Pour expliquer ce processus, le théoricien parle « du rire carnavalesque ». En effet, au Moyen Âge, le carnaval est un temps de défoulement qui renverse le haut et le bas : tout ce qui était respecté était ridiculisé, rabaissé, transgressé, voire profané. A cette époque, le carnaval est une interruption provisoire des règles pour donner au peuple un souffle d’air avant de reprendre le quotidien strictement régi par ces mêmes règles. Par exemple, lors du carnaval au Moyen Âge, le peuple venait librement jouer, crier, chanter dans les églises ; des mannequins à l’effigie des grands du monde étaient promenés en ville pour être insultés, déchiquetés et brûlés.
Dans Gargantua – mais aussi dans ses autres œuvres, Rabelais cherche à atteindre ce rire carnavalesque dans le but d’abaisser la scolastique pour en libérer ses lecteurs : rire, c’est prendre du recul et donc percer une voie vers la réflexion.