La maison n’est pas que le lieu où l’on se retire de la vie sociale. Elle est aussi un lieu social, un lieu de sociabilité. Il est ainsi des maisons dont la porte est toujours ouverte, comme celle que chante Brassens à propos de Jeanne, la femme qui l’a reçu alors qu’il vivait dans la misère : « Chez Jeanne, la Jeanne, / Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu, / On pourrait l’appeler l’auberge du Bon Dieu / S’il n’en existait déjà une, / La dernière où l’on peut entrer / Sans frapper, sans montrer patte blanche… »
L’hospitalité nous semble aujourd’hui un art d’accueillir les touristes, une vertu individuelle, parfois une obligation mondaine. « Faire les honneurs de sa maison », signifie recevoir des hôtes avec courtoisie et les guider soi-même de pièce en pièce. Mais on ne saurait réduire l’hospitalité à l’art des réceptions. Ce serait oublier que, pendant longtemps, les voyageurs et commerçants n’avaient d’autres choix que de solliciter l’accueil, la table et le couvert, des habitants des contrées dans lesquelles ils passaient. L’hospitalité fut dès lors promue comme une valeur civilisationnelle. Le voyageur peut dissimuler un dieu, le rejeter serait une crime, un acte d’impiété.
Ici se joue quelque chose d’important. Conçoit-on l’espace privé comment le lieu où l’on se retire ou le lieu où l’on accueille ? Le privé, est-ce ce dont on a le droit de priver les autres, c’est-à-dire de les exclure ? Ou bien avons-nous des obligations envers les autres y compris dans notre sphère privée ? Rappelons-nous ce mot terrible du philosophe Pascal : « C’est là ma place au soleil. Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. »