Dans Le Monde naturel comme problème philosophique (1936), le philosophe Jan Patočka écrit que « le chez-soi est un refuge, un lieu où je suis plus à ma place que partout ailleurs ; on ne peut expérimenter plusieurs chez-soi à la fois avec la même intensité. C’est la partie de l’univers la plus imprégnée d’humanité ; les choses y sont déjà, si l’on peut dire, des organes de notre vie. » L’espace privé est ainsi valorisé comme un espace où cesse le jeu social, où l’on peut enfin « être soi-même », « être authentique ».
Cette légitime valorisation de l’intime appelle toutefois des réserves importantes. Tout d’abord, soustraite au regard du public, la vie domestique est aussi le lieu du secret, de la violence invisible, de la claustration. Les militants contre les violences faites aux femmes et aux enfants le savent bien. De plus, la valorisation de la vie privée peut être interprétée comme un des symptômes du repli sur soi individualiste caractéristique de la société de consommation. Les individus s’occupent de leur « petite vie », de leur « petit monde » et se désintéressent des problèmes publics, collectifs.
Se pose ainsi un problème intéressant : l’homme domestique est-il l’homme le plus authentique ? D’un côté, la maison nous délivre des contraintes sociales. D’un autre côté, la maison soustrait en partie l’individu au regard des autres qui est sans doute une condition de son humanisation. Comment l’homme domestique pourrait-il être pleinement homme alors que l’existence sociale et politique est une disposition humaine essentielle ?