Dans L’Usage du monde (1963), l’écrivain suisse Nicolas Bouvier observe avec une naïveté touchante les rues de Zagreb, avant de se lancer, à 25 ans à peine, dans un road trip avec son compagnon de route Thierry Vernet. Dans L’Homme des foules (1840), l’auteur anglais Edgar Allan Poe glissera de la contemplation générale de la foule à son observation maladive.

Par ces pratiques obsessionnelles, nous pouvons vite dévier vers le voyeurisme, délit pénal passible depuis 2018 d'un an d’emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Le voyeurisme, flattant notre pulsion scopique, demeure un motif récurrent de la littérature : dans le poème À une passante (1855), Charles Baudelaire fantasme sur une femme entraperçue fugacement à travers la fenêtre de son appartement. Dans Le voyeur (1955), le chantre du nouveau roman Alain Robbe-Grillet met en exergue l’énigmatique « voyageur », un représentant de commerce en montres qui retourne sur son île natale et se balade en vélos, entre rencontres quotidiennes et dissimulation d’un horrible meurtre.

Le cinéma s’empare aussi de cette figure trouble du voyeur : dans la fiction, avec le chef d’œuvre Fenêtre sur Cour (1954) d’Alfred Hitchcock où un James Steward tétraplégique épie ses voisins ; dans le documentaire, avec Une sale histoire (1977) de Jean Eustache, où un voyeur décrit ses sinistres habitudes à travers le trou percé des toilettes d’un café parisien.

Dans l’essai sociologique Voyeur ! (2024), Clémentine Thiebault refait un point sur la figure historique du voyeur et évoque la « molka », un phénomène contemporain en Corée du Sud où les femmes sont filmées à leur insu dans leur intimité et jetées en pâture sur la toile. Dans Espèces d’espaces (1974), le poète Georges Perec embrasse une vision plus synthétique de la rue, des inventaires obsessifs aux échappées poétiques procurés par cet espace si insolite.