La découverte de l’autre, thématisée en littérature, se poursuit au XVIIIe, du fait d’une nouvelle ère de découvertes scientifiques et naturalistes, de nouveaux peuples, comme les Tahitiens par Wallis en 1767, puis explorée de manière plus approfondie par Bougainville en 1768. C’est ainsi qu’il faut comprendre le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot (1796), dans lequel l’écrivain oppose la dénaturation des hommes du voyageur Bougainville, aux Tahitiens naturels, simples, non corrompus par la possession dans le fameux discours d’adieu du vieux Tahitien : « Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ». Là encore, l’Autre est un miroir de nos vices occidentaux, même si la polygamie et la sexualité amorale tahitienne interrogent nos modes de pensée.
De même Tristes Tropiques (1955) de Claude Lévi-Strauss expose les souvenirs d’une expédition au Brésil, en 1938, au cours de laquelle l’ethnologue a partagé la vie quotidienne du peuple indien, les Nambikwara, retrouvant, chez eux, l’altérité humaine, le rapport premier à la Nature : « Des sociétés, qui nous paraissent féroces à certains égards, savent être humaines et bienveillantes quand on les envisage sous un autre aspect ». Mais, comme l’indique le titre, la civilisation a fini de souiller ces premières civilisations : l’ailleurs n’est plus, le monde occidental uniformise les cultures et corrompt le bonheur. Comme il l’écrit : « Ce qui empêche l’homme d'accéder au bonheur ne relève pas de sa nature, mais des artifices de la civilisation ». Il invite donc à un relativisme culturel nécessaire : « On refuse d’admettre le fait-même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit ».
L’Autre est donc celui qui définit par négation l’Européen dès le XVIe siècle, celui qui s’oppose à la corruption de la civilisation, et qui, progressivement, sous les traits du bon sauvage, devient davantage un contre-argument à l’européocentrisme, qu’un être perçu dans sa singularité.