Au XVIIIe siècle, progressivement, le peuple, défini comme un groupe social et économique pauvre, dont la bourgeoisie est l’envers, se voit entrer en littérature, non plus comme un sujet pittoresque, ridicule, comique (on peut penser encore aux figures des paysans simples chez Molière, comme dans l’acte II de Dom Juan, avec les paysannes séduites par le héros éponyme), mais comme un personnage qui peut s'avérer central, héroïque. Les figures du peuple sont alors héritières de la veine picaresque (de l’espagnol pícaro, « misérable », « futé »). Ce type romanesque met en scène, sur le mode autobiographique, l’histoire d’un picaro, c’est-à-dire, d’un héros d’un rang social très bas, voire miséreux, vivant en marge de la société, mais à ses dépens, refusant les codes d’honneur propres aux classes dominantes, et tentant, par tous les moyens, de survivre et de gravir les échelons de la société. Cet antihéros, qui forme un contrepoint à l’idéal chevaleresque, vit des aventures souvent extravagantes supposées plus pittoresques et plus variées que celles des honnêtes gens.
La veine picaresque au XVIIIe se poursuit plus spécifiquement en France avec l’Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735) du romancier et dramaturge Lesage (1668-1747) : Gil Blas, miséreux, rencontre ainsi, sur la route, des voleurs de grand chemin. Arrêté, il devient ensuite valet et passe dans toutes les classes sociales, spectateur de leurs turpitudes. De même, Marivaux (1688-1763) approfondit cette peinture de la réalité avec Le Paysan parvenu (1734-1735) et La Vie de Marianne (1731-1742). D’une certaine manière, le réalisme social du récit picaresque se poursuit dans le roman de mœurs, chez l’Abbé Prévost, avec L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731), montrant la rencontre des deux héros aux prises avec des personnages interlopes ou des aristocrates corrompus à Paris.
Le XIXe siècle fait véritablement entrer le peuple, ses souffrances, ses misères en littérature : la noblesse se trouve détrôner en littérature. Le réalisme romanesque se déploie chez Balzac, chez Sand (Le Compagnon du Tour de France, 1840), Hugo avec Les Misérables (1862), mais aussi dans l’œuvre naturalisme de Maupassant (Bel-Ami, en 1885, histoire de l’ascension sociale d’un arriviste séducteur, qui n’a pas son bac) et de Zola (Thérèse Raquin, 1873, « roman sur le peuple qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple », Préface, L’Assommoir, 1877, roman violent de la misère du petit peuple, sur fond d’alcoolisme et de prostitution ; Germinal en 1885, sur la révolte des mineurs). N’oublions pas Huysmans et Marthe, Histoire d’une fille (1876) qui évoque la vie et les mésaventures d’une Parisienne forcée à se prostituer pour survivre, ou bien le Journal d’une femme de chambre de Mirbeau (1900), sans oublier la fresque monumentale de Sue : Les Mystères de Paris.
Le XXe siècle n’est pas en reste, avec les romans de Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), Mort à crédit (1936), avec, par exemple, Àla ligne de Ponthus (2019), sur l’aliénation du travail à la chaîne, ou ceux d’Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule (2014), Qui a tué mon père (2018), Combats et métamorphoses d’une femme (2021), sur la vie violente et alcoolisée en Picardie.