Faut-il croire Mallarmé quand il déplore l'impuissance du langage, cet « aboli bibelot d'inanité sonore » (Poésies, 1899) ? Le langage humain, trop limité, ne parviendrait pas à tout dire. Il y aurait de l'indicible : une part de l'être résisterait à toute appréhension discursive. Mais, pour déplorer la limitation du langage, encore faut-il s'en servir. Même pour dénoncer le langage, ne suis-je pas obligé de le mobiliser ? Je ne peux critiquer le langage et déplorer ses limites qu'au sein du langage lui-même. D'autant qu'une limitation n'est pas nécessairement une impuissance : limiter, c'est aussi en retour légitimer. Un pouvoir n'est légitime que parce qu'il est limité. De même, peut-être, le langage ne serait-il légitime que parce que les frontières de son empire seraient bien tracées. Limitation n'est donc pas impuissance.
Entre langage et société : la communication
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Langage, hiérarchie sociale et émancipation
Les « conditions sociales qui rendent possible l'efficacité magique des mots » (Bourdieu, Ce que Parler veut Dire) tiennent souvent au cérémonial social dont les paroles sont entourées : le magistrat porte une robe et le médecin une blouse. L'étude du langage et de son fonctionnement conduit donc nécessairement à une étude des processus sociaux de domination.
A contrario, étudier le langage, c'est augmenter notre capacité à en décrypter les usages. Or, le langage a autant de valeur par ce qu'il dissimule que par ce qu'il explicite. Bien sûr, le langage sert à communiquer ; mais il sert aussi parfois à faire écran, à cacher, à mettre un masque sur une réalité que l'on ne veut pas voir ou montrer. Étudier le langage, c'est exhiber les pièges de ces processus implicites de domination ou de déni social.
Une langue est-elle rationnelle ?
Toute langue se fonde sur l’usage de signes. Or, tout signe, à en croire Saussure dans son Cours de Linguistique générale, est constitué d’une relation entre un signifiant – sonore ou graphique – et un signifié – sa référence. Mais la relation entre un signifiant et un signifié est arbitraire. Par conséquent, une langue se fonde sur de l’arbitraire. Est arbitraire ce qui est irréductible à une explication rationnelle. N'en résulte-t-il pas qu'aucune langue ne peut être fondée rationnellement ? Qu'il faut renoncer à cette espérance d'une communication enfin rationnelle ?
Car ce qui ne peut être fondé rationnellement doit être regardé avec circonspection. Toute langue doit donc être regardée avec circonspection, et la communication rationnelle comme une fiction sociale commode, mais trompeuse.
Citations
- « [La] parole concentre le capital symbolique » (Bourdieu, Ce que Parler veut Dire, 1982).
- « Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message » (Watzlawick et al., Une Logique de la Communication, 1972).
- « La rhétorique fait croire que le juste et l'injuste sont ceci et cela, mais elle ne les fait pas connaître » (Platon, Gorgias).
- « Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, 1945).