Contrairement aux sciences naturelles, où le scientifique étudie du non-humain, les sciences humaines mettent en relation l'être humain avec lui-même. Il n'y a pas de position d'extériorité entre le sujet et l'objet étudié, ce qui pose la question de savoir à quelles conditions il peut y avoir de l'objectivité en sciences humaines.

Les sciences humaines cherchent à se distinguer des autres discours sur l'homme (religieux, philosophiques, politiques...) par une ambition de scientificité. Sur quoi repose cette scientificité ?

Les sciences humaines ont développé une série de processus d'objectivation, par lesquels ils se détachent d'une vision immédiate et naïve des phénomènes humains. On retiendra en particulier :

  1. l'outil statistique, qui permet un changement d’échelle dans la perception des phénomènes humains et qui peut faire émerger des régularités supra-individuelles autrement inaperçues ;
  2. la voie comparative, qui insère les phénomènes étudiés dans des séries dont les acteurs étudiés n'ont pas conscience ;
  3. la construction d'unpoint de vue scientifique, caractérisé par ses concepts, sa dimension critique et réflexive...

Une telle ambition se heurte toutefois à :

  1. l'importance de la subjectivité du scientifique, dans le choix des objets, mais le fait que l'objet ait été choisi pour des raisons politiques, morales... n'anticipent pas les résultats de l'investigation si celle-ci est menée selon des critères de scientificité valable ;
  2. la difficulté qu'il y a à connaître des réalités sociales (représentations, contextes) sans faire partie des sociétés en question. Il faut distinguer la connaissance que les acteurs étudiés ont de leurs propres pratiques et le point de vue du scientifique lui-même.

Le scientifique doit donc conquérir une forme de neutralité. Cette neutralité n'implique pas le renoncement à toutes valeurs (comme les valeurs épistémiques, de clarté, rigueur...), ni que la science ne puisse être motivée par certains résultats pratiques, mais exige que l'établissement des faits se fasse en suspendant tout jugement sur leur valeur :

Il faut faire absolument la distinction entre la constatation des faits empiriques (y compris les comportements évaluatifs des êtres humains subjectifs qu’on étudie) et sa propre prise de position évaluative qui porte un jugement sur des faits (y compris les éventuelles évaluations des êtres empiriques qui deviennent l’objet de son étude), en tant qu’il les considère comme désirables et désagréables, et adopte en ce sens une attitude appréciative. (Max Weber, Essai sur la théorie de la science).

La distinction entre fait et valeur est donc impliquée par la démarche des sciences humaines ; et s'il semble difficile de ne pas impliquer de valeurs dans les concepts mobilisés, voire dans les phénomènes étudiés, l'acte essentiel consiste à les expliciter.