Dans Le Suicide, Durkheim étudie les statistiques dans plusieurs pays européens, sur plusieurs décennies, en mettant en relation les taux de suicide et divers facteurs : âge, sexe, religion, statut matrimonial. Il en résulte en particulier que les protestants se suicident plus que les catholiques.

Il s'agit, pour Dukheim, de chercher la cause à ces concomitances inattendues. Dans le chapitre III de la première partie, il se demande alors pourquoi le suicide est plus fréquent chez les protestants que chez les catholiques. S'agit-il d'une différence de dogme ou parce que le protestantisme, en favorisant le libre examen, diminue l’intégration de l’individu ? Si cette seconde hypothèse est vraie, la tendance au suicide devrait augmenter avec le niveau d’instruction, ce qui est le cas.

L'outil statistique permet de confirmer ou de rejeter les hypothèses sur les relations causales qui se cachent derrière les relations observées et d'isoler la cause véritablement opérante, en soustrayant un facteur l'un après l'autre. Cette méthode fonctionne à condition de se concentrer sur des groupes très semblables (ex. : il ne suffit pas de comparer les hommes célibataires et les hommes mariés, car les célibataires sont en moyenne plus jeunes que les hommes mariés : il faut comparer les groupes à âge égal).

Le modèle de la sociologie durkheimienne est donc hypothético-déductif, il est analogue à la manipulation contrôlée des variables dans les sciences expérimentales, la comparaison et la statistique remplaçant l'expérimentation directe.

L'exemple du suicide montre aussi comment Durkheim entend se distancier de la psychologie. Dans Représentations individuelles et représentations collectives, Durkheim souligne que :

  1. La sociologie se distingue des sciences naturelles moins par sa méthode que par son objet : le domaine des représentations ;
  2. Elle se distingue de la psychologie en s'intéressant non aux représentations individuelles (par ex. Durkheim ne donne pas une place à la dépression dans les causes du suicide), mais aux représentations collectives.

Celles-ci se distinguent par :

  1. leur généralité ;
  2. leur indépendance et leur extériorité par rapport aux consciences individuelles ;
  3. et par une forme de contrainte exercée sur ces consciences.

Cette position implique pour Durkheim

  1. de considérer les « faits sociaux comme des choses », comme des réalités autonomes qui ont leurs propres lois et ne sont pas que la somme des comportements individuels ;
  2. de rompre avec les « prénotions »et le sens commun.

La sociologie doit ainsi construire son objet.

On retrouve cette perspective dans l'analyse, par Durkheim, des religions :

L’objet principal de la religion n’est pas de donner à l’homme une représentation de l’univers physique ; car si c’était là sa tâche essentielle, on ne comprendrait pas comment elle a pu se maintenir, puisque, sous ce rapport, elle n’est guère qu’un tissu d’erreur. Mais elle est avant tout un système de notions au moyen desquelles les individus se représentent la société dont ils sont membres, et les rapports, obscurs mais intimes, qu’ils soutiennent avec elle. (Les Formes élémentaires de la vie religieuse)

Les religions montrent la puissance du social, qui contraint les individus.