I - Seules les propositions proprement scientifiques semblent apparemment mériter la qualification de « connaissance ».
- Distinction entre opinion et connaissance : une connaissance est une opinion vraie et justifiée (Platon, Théétète, 201d). Seules les propositions scientifiques semblent correspondre à cette définition. Tout le reste ne serait donc qu'opinion.
- Objection : n'existe-t-il pas des opinions vraies et justifiées qui ne sont pas des connaissances ? Dès lors, ne faudrait-il pas considérer que la distinction entre opinion et connaissance n'est pas aussi radicale qu'elle semble au premier abord ?
- C'est la nature de la justification qui est en jeu : la seule véritable justification d'une proposition est une justification qui rend nécessaire la proposition. La démonstration est le paradigme d'un tel type de justification. Les propositions scientifiques, à l'instar des propositions mathématiques, sont donc, semble-t-il, les seules à mériter la qualification de « connaissance ».
II - Les conséquences d'une telle restriction ne sont-elles pas trop fortes pour être rationnellement admissibles ?
- Si seules les propositions scientifiques sont des connaissances, il faudrait que nous renoncions à nommer « connaissance » l'ensemble des savoirs issus de l'expérience non scientifique.
- Deux conceptions de la rationalité :
- Il est rationnel de donner son assentiment à ce qui fait l'objet d'une démonstration et à cela seulement ;
- Il est rationnel de donner son assentiment à tout ce qui n'est pas infirmé par une démonstration, sans restriction.
- Que serait un monde où la première conception serait en vigueur ? Argument en faveur de la seconde conception : dans les autres domaines de l'existence humaine, c'est la seconde conception normative qui est mise en œuvre : par exemple, en termes d'action, agir librement, c'est faire ce qu'il est possible de faire sans restriction, hors ce qui est explicitement interdit (seconde conception), et non pas ne faire que ce qui est explicitement autorisé (première conception).
III - Dès lors, n'est-ce pas une conception extensive de la rationalité qu'il faudrait promouvoir ?
- Les connaissances (au sens de la seconde conception de la rationalité), loin d'être issues d'une rationalité démonstrative, n'en sont-elles pas pour autant des connaissances ? Elles relèvent d'une confiance réciproque entre les interlocuteurs, « pistis » (Platon, République, livre II) au sujet du discours et de sa possibilité, même non scientifique de dire une vérité.
- Le dialogue authentique – ni débat ni monologue, parce qu'il relève d'une véritable confiance placée dans le discours ne se constitue-t-il pas lui aussi en connaissance ? Le cas du Théétète cherchant à définir ce qu'est connaître : connaissance de « second degré », qui n'est pas science au sens contemporain du terme, mais n'en demeure pas moins savoir rationnel. Dire la nature des choses comme connaissance rationnelle du réel.
- Seul le dialogue peut permettre l'établissement d'un tel savoir, de telles connaissances, pleinement rationnelles et pourtant non « scientifiques » au sens contemporain du terme. Inversion de perspective avec l'introduction : c'est désormais le mot « scientifique » que l'on ne saurait plus écrire qu'avec la précaution de guillemets, et non plus le mot « connaissance ».