Dans son Essai sur le don, le sociologue Marcel Mauss a forgé la notion de « fait social total ». Il faut entendre par là une réalité collective qui, d’une certaine manière, mobilise la totalité des institutions d’une société, une réalité collective sans laquelle la société ne serait fondamentalement plus la même. On peut soutenir que le voyage, loin d’être un phénomène social marginal, est bien « un fait social total ».
En effet, à moins de vivre en autarcie, l’économie d’une société dépend en partie des échanges avec d’autres sociétés et donc du déplacement d’hommes et de marchandises. De plus, la vitalité démographique, scientifique, culturelle, morale et spirituelle d’une société dépend souvent de sa capacité à aller à la rencontre de nouvelles populations et de sa disposition à accueillir des hommes, des innovations, des idées, des institutions venus d’ailleurs.
Ainsi, aussi bien sur le plan économique que moral, démographique que politique, les voyages sont une des composantes essentielles de nos sociétés. Cette part du voyage dans la vie sociale a marqué notre vocabulaire. Combien de mots, en effet, portent en eux la mémoire des déplacements, des pérégrinations, des exodes, des tribulations, des périples qu’ont vécus les hommes ? C’est là un autre aspect de ce « fait social total » qu’est le voyage qui marque de son empreinte non seulement les hommes et les institutions d’une société, mais aussi sa langue.