La catégorisation de l'œuvre romanesque de Marguerite Duras présente des défis, notamment en raison de la réticence de l'auteure à être associée au mouvement du Nouveau Roman. Bien que sa production littéraire soit fréquemment rapprochée de ce courant, Duras elle-même a rejeté cette affiliation, ce qui complique les tentatives de classification de son œuvre dans le paysage littéraire du XXe siècle.
Avec Le Ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras réalise une fusion remarquable entre le roman et la poésie, deux genres souvent considérés comme antinomiques. Son écriture, bien que fondamentalement romanesque, intègre des éléments poétiques sophistiqués tels que l'invention du "mot-trou", l'usage fréquent de métaphores et d'anaphores, ainsi qu'une syntaxe expérimentale caractérisée par l'absence de mots de liaison entre les phrases et les propositions. Cette démarche originale place l'œuvre de Duras à la frontière entre roman et poésie, ce qui rend compte d’une quête de pureté linguistique similaire à celle d'un poète, et crée ainsi un style littéraire nouveau.
Dans Le Ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras adopte une poétique de la suggestion, s'éloignant des conventions du roman traditionnel pour offrir des images fragmentées et évocatrices. Elle revisite avec originalité des motifs poétiques baudelairiens, notamment celui de la chevelure, qu'elle intègre dans les portraits de ses personnages féminins, Tatiana et Lol. Le topos de la fenêtre, également emprunté à Baudelaire, est exploité de manière significative, en particulier à travers l'évocation de la fenêtre de l'Hôtel des Bois où se situe la première rencontre entre Jacques Hold et Tatiana Karl. Ce motif devient, dès lors, un symbole de fuite vers un autre monde, enrichissant la dimension poétique et symbolique de l'œuvre. Par cette intertextualité et cette réinterprétation des motifs poétiques, Duras crée un univers littéraire unique, à la croisée du roman et de la poésie. Elle fait de son œuvre un terrain d’expérimentation pour développer un style unique, son style, facilement reconnaissable et souvent parodié, justement parce que particulièrement identifiable. L’exemple du Ravissement de Lol V. Stein illustre une écriture caractérisée par sa volonté d’exprimer comment dire l’indicible. Ce recours au « mot-trou » permet de rendre compte d’émotions complexes ou d’expériences psychologiques profondes. À l’instar de ses autres romans, cette œuvre représente de façon significative sa vision du monde et son désir de repousser les limites de l’écriture, ce qui en fait une sorte d’autobiographie indirecte.