Les rapports entre l'œuvre littéraire et l'auteur dans ces quatre textes illustrent la complexité de la création littéraire. Les Lettres portugaises de Guilleragues, publiées au XVIIe siècle et longtemps attribuées à une religieuse portugaise Mariane Alcaforada qui a réellement existé et habitant un couvent au Portugal, démontrent la capacité et la virtuosité de l'auteur à créer une voix féminine authentique fictive, brouillant les frontières entre réalité et fiction, à tel point qu’elle reste encore aujourd’hui l’objet d’un débat entre ceux défendant la thèse alcaforadiste et ceux l’attribuant à Guilleragues. Cette œuvre a révolutionné le genre épistolaire et popularisé le roman psychologique dans les siècles et décennies suivants, devant également son succès au mystère entourant sa publication.

Dans le cas de Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, l’auteur s'inspire directement de son séjour à l'île Maurice, mêlant ses observations personnelles à une fiction idyllique. Lointain ancêtre du roman d’autofiction, tout comme il est un lointain héritier des récits de voyage du XVIe siècle, l’œuvre n’en demeure pas moins fictionnelle avec une narration menée à la troisième personne. Ainsi son style descriptif détaillé de la nature tropicale reflète l’expérience personnelle de l’auteur, qui fait de son œuvre un roman original et exotique suscitant l’imagination des lecteurs européens du XVIIIe siècle, qui ravira au sens propre et figuré Emma Bovary, l’héroïne éponyme du roman de Flaubert Madame Bovary.

Dans ce roman, l’auteur et son personnage principal ne font plus qu’un : « Madame Bovary, c’est moi » aurait déclaré Flaubert, soulignant la fusion complexe entre l'auteur et son personnage. Tout comme Bernardin de Saint-Pierre s’inspire de son voyage personnel et de ses observations sur la nature et la culture qui l’entourent, Flaubert puise dans ses propres observations de la société provinciale française pour créer un portrait saisissant d'Emma Bovary. Son style réaliste minutieux, avec des descriptions précises et un souci du détail, fait du roman un chef-d'œuvre du mouvement réaliste. Le procès pour immoralité qu'il a subi montre enfin comment l'œuvre peut directement engager l'auteur dans les débats sociaux de son époque. Quant au roman inclassable génériquement, Le ravissement de Lol V. Stein de Duras, il marque un tournant au sein de sa production romanesque-même dans son style d'écriture. Son approche fragmentée et poétique, avec l'invention du concept du "mot-trou", reflète ses propres expériences et préoccupations. Les thèmes récurrents de l'amour, du désir et de l'aliénation dans ce roman sont profondément ancrés dans la vie personnelle de son auteur. Son style novateur, caractérisé par des phrases courtes et une narration non linéaire, a contribué à apporter une nouvelle définition du roman au XXe siècle. 

Ainsi, ces quatre romans publiés à des époques différentes, à des siècles successifs, du XVIIe siècle au XXe siècle, rendent compte de leur originalité et de leur spécificité par l’importance du lien qui attache l’auteur à ses personnages, mais aussi l’auteur à son œuvre elle-même. Ce dernier y projette sa vision du monde à partir de sa propre expérience et à un style unique permettant de redéfinir le genre du roman au fil des siècles et de le voir évoluer dans sa définition-même.