La littérature du XVIe siècle interroge l’altérité occidentale du fait des grands découvertes dont témoignent Montaigne, dans ses Essais (1580) par exemple, refusant l’européocentrisme (I, 31 « Des cannibales », III, 6 « Des coches »), ou bien Jean de Léry, dans L’Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique (1578), ouvrage dans lequel il raconte son périple de près d’un an dans la France antarctique, dans la baie de l'actuelle Rio de Janeiro, et décrit la vie des Indiens Tupinambas. Pour ce dernier, même si les Indiens sont damnés car non chrétiens, leur courage, leur vertu, leur simplicité les rend, en un certain point, bien supérieurs aux Occidentaux.
Ce choc des cultures est le moyen, pour ces deux auteurs, de comparer deux visions, l’une européenne, l’autre « américaine ». L’européocentrisme, comme constitution de normes et de valeurs occidentales, chrétiennes, blanches, civilisées, se définit dialectiquement par rapport aux valeurs exogènes : l’Europe est la civilisation chrétienne qui affirme ses valeurs face aux autres cultures, et qui a besoin de ces dernières pour assurer ses positions doctrinales. Dans cette mythification européenne naît alors, chez ses deux auteurs, la volonté de critiquer l’orgueil occidental, qui se pose comme garant de la civilisation, face à la barbarie sauvage des peuples dit primitifs. En effet, Montaigne utilise l’Autre, dans sa simplicité naturelle, sa pureté, comme un état de nature pré-rousseauiste, quasi édénique, même si non dénué de violence (cannibalisme, mais à relativiser par rapport à celui des guerres de religion, puisque celui pratiqué par les Indiens n’est pas une vengeance, mais une manière d’absorber la puissance de l’ennemi). L’Autre devient alors une figure rhétorique et argumentative qui sert à critiquer la fausse supériorité des Européens.
Le sauvage devient, alors, progressivement, un mythe, celui du bon sauvage, face au cruel occidental. Plus précisément, chez Montaigne, rien n’est barbare dans la figure de l’Autre, puisque « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage » (livre I, « Des cannibales »). Il est soumis à l’ordre de la nature, à ses cycles, en un éternel présent. Il ne connait pas la propriété privée, ni l’hypocrisie… Il peut donc conclure « qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Même dans le domaine de la barbarie, nous n’avons rien à envier aux Sauvages, au vu des massacres commis par les conquistadors.