Le nom de ce genre argumentatif, très présent aux XVIIe et XVIIIe siècles, est un néologisme créé par Thomas More (1478-1535), dans L’Utopie ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement (1516). Le mot utopie est forgé sur la combinaison du grec topos (« lieu ») et du préfixe u, de sens privatif (« qui n’existe pas »). Il désigne un monde imaginaire irréel, parfait. Un écrivain recourt à ce genre pour deux raisons. La première est de montrer un idéal qui peut être atteint en changeant la société par l’établissement d’un nouveau régime politique (qui gouvernerait parfaitement les hommes), d’une société parfaite, sans injustice. La seconde est de dénoncer une société imparfaite, les injustices et dérives de l’époque, en la comparant avec celle, parfaite, de l’utopie.
La première utopie en France est imaginée par Rabelais dans Gargantua (1534), au chapitre LVII, celle de l’abbaye de Thélème que Gargantua a fait construire dont la devise est : « Fais ce que tu voudras ». Au XVIIe siècle, retenons l’Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657) de Cyrano de Bergerac, aventures d’un voyageur arrivé sur la lune, puis sur le soleil, avec une satire des conventions et des mœurs de la société française. Les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon, reste l’utopie la plus connue avec le pays de la Bétique qui préfigure une critique de la société du luxe et de l’apparence.
Le XVIIIe siècle est le grand siècle de l’utopie en France et en Europe, comme moyen détourné de critiquer la société en évitant la censure et de diffuser les principes de la philosophie des Lumières. En témoigne l’utopie des Troglodytes de Montesquieu, dans les lettres XI et XII d’Usbek à son ami Mirza des Lettres persanes (1721). Marivaux dans L’Île des esclaves et La Colonie (1725), ou encore dans Les Petits Hommes ou l’Île de la raison (1727), dresse des utopies civilisatrices. Voltaire dans Candide (1759), aux chapitres XVII et XVIII, fonde l’utopie d’Eldorado (le pays doré), eutopie qui est une caricature de l’utopie traditionnelle par son merveilleux et ses hyperboles. Enfin, on peut y rattacher d’une certaine manière Le Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot (1772), qui critique la violence des Occidentaux contre les Tahitiens et leur mode de vie naturel, pur, non entaché par la morale chrétienne.