En autobiographie, le rapport à la sincérité est toujours problématique : son excès devient suspect. Ainsi, André Gide prend conscience, pendant l’écriture du Journal des Faux-Monnayeurs, à propos de son autobiographie Si le grain ne meurt, que « l’intimité, la pénétration, l’investigation psychologique peut à certains égards être poussée plus avant dans le roman, que même dans les confessions l’on est parfois gêné par le « je », il y a une certaine complexité que l’on ne peut chercher à démêler, à étaler, sans apparence de complaisance ».

Jean-Paul Sartre, lui-même, dans son autobiographie existentialiste Les Mots (1964), ne croit pas à la sincérité : « Ce que je viens d’écrire est faux. Vrai. Ni vrai ni faux comme tout ce qu’on écrit sur les fous, sur les hommes. J’ai rapporté les faits avec autant d’exactitude que ma mémoire le permettait. » C’est que celui qui écrit est un autre que celui qui est décrit, ce qui peut modifier un être au point que l’unité du « je » en devienne équivoque. Ainsi, le contrat de lucidité chez Sartre se substitue au contrat de sincérité.

Autre caractéristique : le « je » autobiographique naît dans l’écriture, il ne la précède pas. Le critique Paul Ricœur explique ainsi que l’« identité narrative n’est pas une identité stable et sans faille ; de même qu’il est possible de composer plusieurs intrigues au sujet des mêmes incidents [...] de même il est toujours possible de tramer l’écriture du moi et le récit de soi : correspondance, autobiographie, roman autobiographique, récit de vie sur sa propre vie des intrigues différentes, voire opposées. [...] En ce sens, l’identité narrative ne cesse de se faire et de se défaire ».

L’écriture de soi implique donc la connaissance de soi. Le projet est alors ambigu : s’écrire implique que l’on se connaisse. Or, dans le cours de l’écriture, cette connaissance se défait et s’élabore dans le processus même de l’écriture. La connaissance n’est pas nécessairement préalable. Elle est un processus de l’écriture toujours remis en cause. C’est qu’à vouloir appréhender sa propre vérité, de dévoilement en dévoilement, l’image de soi se brouille, se démultiplie. La sincérité, l’authenticité recherchée, se résout en ambiguïté. L’écriture de soi semble alors toujours s’arrêter à une question, « qui suis-je ? », question toujours ouverte. En effet, la construction d’une identité dans la narration passe nécessairement par la médiation de l’autre : le lecteur auquel l’autobiographe s’adresse, avec lequel il passe un pacte.