Le poème de Hugo intitulé « Les Djinns » est célèbre car il représente une sorte d’exploit stylistique tant sa structure formelle est complexe. Il s’agit pourtant d’une œuvre de jeunesse écrite en 1829 (Hugo a alors vingt-sept ans). Les djinns sont des créatures surnaturelles maléfiques, évoquées dans le Coran, qui leur prête le pouvoir de prendre possession de l’âme humaine. Ici, le poème raconte le passage dans une ville d’un essaim de ces djinns.
Bien qu’il figure dans un corpus de « vers figurés », le poème de Hugo n’utilise apparemment que les signes verbaux. Ce n’est pas un texte hybride, mélangeant deux codes graphiques (le texte et le dessin, par exemple). Cependant, il est fait de quinze huitains de mesure régulièrement croissante jusqu’à la huitième strophe, puis décroissante jusqu’à la fin (les vers ont 2 syllabes, puis 3, puis 4, et ainsi de suite avant de revenir à 2 syllabes dans la strophe finale).
Ce jeu très mathématique sur la longueur du vers donne au poème un aspect iconique ; le texte enfle sur la page au fur et à mesure que le danger approche. Hugo a donc travaillé sur les propriétés mimétiques de la graphie : il y a analogie entre le signifiant et le signifié.
Qu’ajoute ici l’iconicité du poème ? Les émotions du lecteur sont démultipliées car le sens des mots que l’on découvre est souligné par l’émotion visuelle et sonore. La lecture du poème devient une expérience sensible et métaphysique ; nous vivons la menace du malin et la force perlocutoire de la prière.
Apollinaire (1880 - 1918) a souvent exploré le thème du miroir et a dessiné des calligrammes esquissant cette forme. L’un des plus connus, « Cœur, couronne et miroir » figure dans le recueil intitulé Calligrammes dont la première version publiée date de 1916.
Un autre poème écrit en 1915 dans les tranchées « Je me regarde en ce miroir... » est finalement publié dans les Poèmes à Lou en 1947 (dans une édition posthume) sur une page regroupant plusieurs autres calligrammes. En inventant ce mot, le poète rebaptise et transforme une pratique ancienne, celle des « poèmes figurés » (carmina figurata) qui mêlent la lettre et le dessin. Chez Apollinaire, le calligramme (de « calligraphie » et « idéogramme ») dessine une forme, en l'occurrence celle du miroir, à l’aide seulement de lignes d’écriture.
« Amour » de Michel Leiris (1901-1990) est l’une des « gloses illustrées » de son Glossaire, publiée pour la première fois en 1925 dans La Revue surréaliste d’André Breton. En grand amateur des jeux « grammatiques », le poète travaille l'alliance du dessin et de la lettre. En effet, le poème est composé de deux parties en apparence dissemblables. La première, dans la partie supérieure de la page, se lit comme une « image ». La seconde, au bas de la page, propose une sorte de légende au dessin sous forme d’un énoncé verbal. Mais, en réalité, la légende et le dessin sont faits de la même matière, de lettres typographiées avec soin. L’équilibre des pleins et des déliés, les empattements, sont particulièrement harmonieux. On peut dire que le dessin ici procède essentiellement de la recherche typographique.
La partie illustrée est une forme composée de lettres encastrées dans le contrepoinçon de la lettre A, parfaitement centrées et contiguës. Les lettres en question sont les cinq qui composent le mot « amour ». Elles sont de taille décroissante, formant un effet de perspective. La légende est faite de mots commençant chacun par les cinq lettres du mot « amour » comme si la glose décrivait le dessin de l’arrière-plan vers le premier plan, jusqu’au mot ÉCHELLE en capitales qui renvoie à la forme de la lettre A.