On peut distinguer trois principales critiques de la raison :

  • une critique sceptique, qui souligne que la raison ne peut pas être à elle-même sa propre norme. Dans les Essais, Montaigne souligne que soit la raison se fonde sur les apparences issues des sens, mais il faudra alors un instrument pour juger de ces apparences, et si c'est la raison, il y a cercle vicieux ; soit la raison s'appuie sur une démonstration : ou bien il faut un instrument pour contrôler la démonstration, puis un instrument pour contrôler à l'infini ; ou bien la raison est sa propre norme et il y a cercle vicieux ;
  • une critique généalogique, qui insiste sur le caractère hypostasié de la raison comme faculté pure et libre. C'est la critique nietzschéenne qui a) remet en cause l'hypothèse d'une raison pure qui n'aurait aucun lien avec le sensible, b) propose une explication de son élaboration à partir du langage et certaines pulsions ou instincts qui sont modifiés ;
  • une critique politique, celle d'Adorno et d'Horkheimer (Dialectique de la Raison, 1947). Cette critique prend pour objet l'usage des procédés rationnels de justification pour justifier des idéologies jamais remises en cause, telles que la rationalité économique et instrumentale (le raisonnement en terme de moyen et de fin, calculabilité et quantification des opérations), qui conduit à faire de l'homme le moyen des machines dont il se sert, la mythologie d'une raison qui devrait guider toute politique (dans le totalitarisme), ou encore le racisme, idéologie « paranoïaque » qui mobilise des raisonnements pour justifier l'injustifiable.

Ces critiques ne sont pourtant jamais une disqualification absolue de la raison : ce qui est mis en cause c'est sa prétention à se constituer comme un principe ferme de vérités inconditionnelles et à être sa propre norme autonome. Mais il faut souligner :

  • que Nietzsche insiste sur l'existence d'une « grande raison », qui est une raison critique et reliée au corps : il y a, par exemple, des règles de vie qui peuvent restaurer la « raison du corps » ;
  • qu'Adorno et Horkheimer ne critiquent la raison que pour la refonder en tant que principe dynamique et négatif, c'est-à-dire essentiellement critique, qui a pour fonction de questionner les idéologies figées.