À mon avis, ce qu’il y a de terrible, Phèdre, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence. (Phèdre)

Les êtres engendrés par les arts imitatifs (peinture, sculpture, poésie) ont un semblant de vie : par leur ressemblance avec les êtres qu’ils imitent, ils donnent l’impression de leur présence. Mais cette présence est trompeuse : elle ne résiste pas à l’interrogation dialectique, les figures peintes ne pouvant répondre.

Dans la République (Livres III et X), Platon explore la dimension illusionniste des arts et de la poésie tragique.

Dans le Livre X, Platon commence par distinguer les réalités véritables, qui ne sont perçues que par l’œil de l’esprit et qui sont identiques à elles-mêmes, et les réalités sensibles, perceptibles par les sens. Lorsqu’un artisan fabrique un objet matériel (comme un lit), il le fait en pensant à l’idée de lit, c’est-à-dire à sa définition constante et déterminée. Mais l’objet qu'il produit, le lit, n’est pas identique à son idée : un lit fabriqué possède des caractéristiques contingentes, une taille, une couleur qui ne sont pas incluses dans sa définition.

La thèse de Platon est que le peintre ne produit pas son œuvre en regardant l’idée de lit, mais en regardant le lit perceptible par les sens, dont il ne rend qu’un seul point de vue. Ce qu’il produit, le tableau, est donc l’image d’une image : c’est une copie (un simulacre) fragmentaire et incomplète d’une réalité sensible qui est elle-même l’image contingente d’une réalité intelligible. Paradoxalement, cette faiblesse ontologique de l’image permet au peintre de tout produire, même s’il n’a pas la connaissance des objets qu’il produit : en s'appuyant sur la sensibilité et l’opinion des spectateurs, il peut les tromper et leur faire croire à la présence de la réalité : c’est pourquoi l’art est un enchantement, une sorcellerie qui plonge le spectateur dans un rêve.

Dans le Livre III, Platon critique ce type d’imitation qui entraîne une éducation pernicieuse ; il distingue toutefois une bonne imitation qui, en insistant sur le rythme et l’idée de beau, tournerait les regards vers les réalités intelligibles.