Si le langage ne correspond pas exactement à la réalité, on peut aller encore plus loin en soulignant que, loin d'être une simple image reproductrice du réel, il participe à la construction du réel.

Dans L'Essai sur l'homme, Ernst Cassirer, qui insiste moins sur ce qu'est le langage que sur sa fonction, définit l'homme comme un « animal symbolique » : un ensemble de symboles s'interposent entre l'homme et la nature, ce qui fait que, contrairement aux animaux, chez qui la réaction à un stimulus externe est directe et immédiate - elle passe par des signes -, la réaction humaine est toujours médiatisée par un « processus lent et compliqué de la pensée ». Le lange est une de ces formes symboliques qui construisent le monde.

Cette approche implique une distinction radicale entre le langage émotionnel et le langage propositionnel.

Le langage émotionnel est commun aux hommes et aux animaux : il consiste en une réaction immédiate, qui exprime une émotion, et dont l'interjection est la manifestation la plus claire.

Le langage propositionnel au contraire désigne et décrit le réel en distinguant différentes « choses » et en isolant des relations. L'une des opérations fondamentales du discours humain est ainsi la classification :

« Donner un nom à un objet ou une action, c'est les subsumer sous un certain concept de classe... Le nom d'un objet n'en revendique pas à sa nature ; il ne se propose pas de nous donner la vérité d'une chose, il ne met l'accent que sur un aspect particulier, et c'est précisément sur cette restriction et sur cette limitation que repose la valeur du nom. »

Le langage manifeste la capacité à abstraire : à considérer séparément certains éléments du réel. Chaque langue peut ainsi saisir du réel un aspect différent : le nom grec de la lune (« men ») insiste sur son importance pour mesurer le temps, le nom latin (luna de lux) sur sa luminosité. Mais si les langues saisissent (en fonction d'une culture) différents aspects du réel, elles manifestent la même fonction.

Le langage permet donc à l'homme de construire un monde en isolant les relations, en classant les différents êtres et en permettant une abstraction supérieure.