L’état de nature (Léviathan, I, 13) est la situation dans laquelle se trouvent les hommes si l’on fait abstraction des institutions politiques existantes (état, lois positives, famille...). Ses caractéristiques se déduisent de l’anthropologie.
Selon Hobbes, et contrairement à Rousseau, l’état de nature est une fiction. Elle ne découvre pas l’homme naturel sous l'homme civilisé. Cette « condition naturelle des hommes » n’exclut pas ce qui distingue l’homme des animaux (langage, relations sociales). Cet état de nature n’implique pas de représenter un homme antérieurement à toute civilisation, mais de voir ce qu’il advient de l’homme sans pouvoir politique.
Hobbes (I, 17) résume six raisons pour lesquelles certains animaux vivent en paix sans pouvoir souverain, tandis que l’homme n’y parvient pas :
- la passion de l’honneur ;
- le penchant à se comparer ;
- la raison, qui rend l’homme présomptueux ;
- l’existence de communautés politiques insuffle le désir de dominer par la rhétorique et la violence ;
- le développement des techniques assurant la satisfaction des besoins vitaux engendre un loisir qui rend l’homme querelleur concernant ses droits ;
- la concorde humaine repose sur des promesses qu’un pouvoir doit garantir, et non sur le seul penchant naturel.
L’état de nature est un état social où chacun a besoin d’autrui pour assurer son désir, mais où, sans pouvoir central, la société s’autodétruit et devient un état de « guerre de tous contre tous ». Ce n’est pas un état de guerre permanent, mais un état de méfiance permanente où aucune relation sociale paisible (commerce, communauté politique) n’est possible, une disposition constante à se battre :
« Dans un tel état, il n’y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n’en est pas assuré […] ; pas de connaissance de la face de la terre [...] ; pas d’arts ; pas de lettres ; pas de société ; et, ce qui est le pire de tout, la crainte et le risque continuels d’une mort violente ; la vie de l’homme est alors solitaire, besogneuse, pénible, bestiale et brève. »
Dans une telle situation, l’égalité des hommes développerait la crainte mutuelle : les inégalités physiques n’empêchent pas que le plus faible puisse tuer le plus fort. Chacun espère ainsi atteindre ses fins autant qu’un autre : l’égalité engendre la défiance. Sans présupposer la méchanceté chez tous, un tel état devient un état de défiance « raisonnable », où chacun est fondé à se défendre soi-même.
La bestialité de l’homme n’est pas le point de départ de la fiction, mais son aboutissement : « la nature dissocie les humains » quand elle est laissée à elle-même. La civilisation disparaît par le déroulement de cette condition naturelle, laissant place à une barbarie qui n’a jamais existé. Cette fiction s’adresse à des civilisés pour leur rappeler la valeur de leur civilisation.
La méfiance, qui s’emballe quand il n’y a pas d'autorité civile, sans garantie, n’est modérée que lorsqu’elle est concentrée dans un pouvoir central, invisible qui pourrait intervenir pour protéger. Mais cette méfiance comme toutes les causes de conflits restent présentes dans l’état civil : elles ne sont que modérées, limitées.