La Béatitude désigne, pour Spinoza, l’état de bonheur et de joie perpétuelle du sage : elle consiste dans l’amour intellectuel de Dieu, c’est-à-dire de la nature telle qu’elle est et dans la connaissance intuitive de la nature sous l’espèce de la nécessité et de l’éternité. Dans ce contexte, il ne peut y avoir de passion, puisque l’homme connait tout ce à quoi il est déterminé, mais il n’y a que des affects actifs. Pour Spinoza, ce n’est pas la réduction des passions qui mène à la béatitude, mais c’est la béatitude qui réduit d’elle-même les passions.
Cette béatitude ne peut être confondue avec un ascétisme : elle consiste au contraire dans le plein épanouissement des affects positifs (joie, amour), dans un usage des plaisirs tels qu’ils participent à l’augmentation de la puissance d’agir du corps et de l’âme.
Pour un tel sage, rien n’est bon ni n’est mauvais : il n’a aucun concept de bien ni de mal (IV, 8).
Reste que, spontanément, les hommes ne sont pas sages, mais déterminés par des causes qu’ils ignorent et sont affectés de passions.
C’est pourquoi Spinoza reprend la notion de bien et de mal, non pas au sens de ce qui caractériserait un objet (il n’y a rien de bien et de mauvais en soi, car le bien et le mal dépend de la nature de notre désir), mais au sens de ce qui nous rapproche du modèle de la nature humaine dont nous voulons nous rapprocher :
J’entendrai donc par bon dans ce qui va suivre, ce que nous savons avec certitude qui est un moyen de nous rapprocher de plus en plus du modèle de la nature humaine que nous nous proposons. Par mauvais, au contraire, ce que nous savons avec certitude qui nous empêche de reproduire ce modèle.
Ce modèle permet de mettre en mouvement le désir vers la béatitude. Il faut insister :
- sur l’importance de ce que « nous savons avec certitude » : n’agit de manière active qu’un être qui connait les raisons qui le font agir ; ce qui est d’abord utile, c’est « ce qui conduit à la connaissance » (IV, 26-27) ;
- sur l’importance de l'utilité : ce qui est bon, est ce qui est objectivement capable d'augmenter notre puissance d’agir et de diminuer la tristesse et l’ignorance.
Le travail de l’éthique vise ainsi à la connaissance de ses affections et, en attendant, à la méditation de règles de vie qui nous guident vers la joie :
Le mieux donc que nous puissions faire, tant que nous n’avons pas une connaissance parfaite de nos affections, est de concevoir une conduite droite de la vie, autrement dit des principes assurés de conduite, de les imprimer en notre mémoire et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent fréquemment dans la vie, de façon que notre imagination en soit largement affectée et qu’ils nous soient toujours présents. (V, 10)
Si l’imagination et la mémoire ne définissent pas la béatitude, elles sont des outils indispensables pour y parvenir – si elles sont soumises à la raison.