Dans le dernier chapitre du premier tome du Traité de la nature humaine, Hume se montre en proie à la mélancolie : le doute sceptique tend en effet à détruire toutes les certitudes sur lesquelles sont fondées non seulement les sciences, mais aussi la vie quotidienne : l’existence des objets extérieurs et l’identité du moi, qui ne sont fondées que sur une croyance et « parce que penser autrement, nous coûte trop de peine ».

Seule la nature, c’est-à-dire la vie quotidienne et ses distractions, peut guérir le sceptique de cette mélancolie. Faut-il donc abandonner, sous le poids de ces doutes, la philosophie ?

La réponse de Hume est négative, car :

  • la philosophie apporte un plaisir et vient répondre à une des passions fondamentales de l’homme : la curiosité ;
  • il est possible de fonder un système, si ce n’est certain et absolu, du moins probable et satisfaisant à condition de circonscrire le champ de son interrogation.

Ce champ, c’est celui de l’expérience. Un sceptique doit donc « douter autant de ses doutes que de ses convictions philosophiques », plutôt que renoncer à toute spéculation.

Comme le remarque Hume, dans la section XII de l’Enquête sur l'entendement humain, son scepticisme est mitigé ou modéré : il se distingue du scepticisme extrême du pyrrhonisme :

  • qui est impossible, car il détruit la raison par la raison ;
  • qui est invivable, car le sceptique est obligé d’abandonner son doute extrême lorsqu’il revient à la vie commune et à la nature.

Le scepticisme de Hume se distingue du scepticisme antique en ce que :

  • il est corrigé par le sens commun et l’instinct naturel, qui forcent à vivre ;
  • il est orienté vers la fondation des sciences, à partir de la science de l’homme, plutôt que sur leur destruction.

De ce point de vue, les réflexions philosophiques ne sont rien d’autre que « les réflexions de la vie courante, organisées avec méthode et soumises à des corrections ». 

Il faut donc conclure :

  1. que l’ignorance est positive, car elle délimite le champ de ce qui est certain ;
  2. que si elle est elle-même limitée, elle ne détruit pas la vie quotidienne, mais la modifie et l’enrichit :

Dès qu’un homme s’est accoutumé à faire des réflexions sceptiques sur l’incertitude et les bornes étroites de la raison humaine, il ne pourra jamais y renoncer entièrement, quand son esprit est occupé d’autres objets. Mais dans toutes ses observations et ses principes philosophiques, dirai-je aussi dans sa vie privée, il conservera une teinte de ses premiers sentiments qui le distinguera de ceux qui ne formèrent jamais d’opinion sur cet article ou qui sont restés attachés à des principes  plus favorables à  la raison humaine [...] Depuis notre plus tendre enfance, nous nous accoutumons de plus en plus à régler notre conduite et nos opinions sur des principes plus généraux, plus la sphère de notre expérience s’agrandit et plus notre raison se perfectionne, plus alors nos idées se généralisent et s’étendent, et que ce que nous appelons philosophie n’est qu’une opération plus régulière et plus méthodique de la même sorte. (Dialogues sur la religion naturelle, I)

Le philosophe sceptique gardera une forme de prudence de ses réflexions, même dans la vie quotidienne.