Pour Spinoza, l’insociable sociabilité des hommes trouve son origine dans les passions humaines et notamment dans cette propriété qui fait que les hommes imitent les passions d’autrui. En effet,

  1. comme chacun désire augmenter sa puissance, chacun cherche à ce qu’autrui aime ce que l’on aime et haïsse ce que l’on hait : chacun désire que les autres vivent selon « sa propre complexion » ;
  2. si autrui hait ce que j’aime, alors, comme j’imite sa haine pour l’objet que j’aime, je connais une fluctuation de l’âme ;
  3. cela aboutit à ce que tous désirent les mêmes objets qui, lorsqu’ils ne sont pas partageables, font que les hommes sont des rivaux et des obstacles les uns aux autres.

D’un côté, l’imitation des affects nous porte à rechercher la compagnie des autres pour fortifier nos affects ; de l’autre, elle rend conflictuelles les relations sociales :

cet effort pour que chacun approuve l’objet de notre amour et de notre haine est en réalité de l’ambition ; nous voyons ainsi que chacun a, de nature, l’appétit de voir vivre les autres selon sa propre complexion, et comme tous ont pareil appétit, on se fait ensuite obstacle l’un à l’autre, et parce que tous veulent être loués ou aimés par tous, on en vient à une haine mutuelle (III, 31).

La conclusion est évidente : en tant qu’il est mû par les passions, l’homme est conduit à s’entrempêcher ; il ne vit dans la concorde qu’en tant qu’il est raisonnable (alors « l’homme est un dieu pour l’homme », cf. IV, 35).

Le but de la politique est de « contraindre les hommes à vivre sous la conduite de la raison » (Traité politique, VI, 3), alors que l’État, si on le laisse à sa pente naturelle, tend toujours à dégénérer en guerre civile. Ce but n’est atteint :

  1. que par un contrat par lequel chacun s’engage à ne pas vivre selon sa complexion et à limiter son droit naturel (l’exercice de sa puissance) ;
  2. que si ce contrat est perçu comme plus utile que son absence (Traité théologico-politique, ch. XVI) ;
  3. que si le pouvoir politique parvient à contraindre les citoyens, par la crainte, mais aussi par « l’espoir de quelque bien désiré avec ardeur » (Traité théologico-politique, ch. V ; Spinoza évoque une « affection commune », Traité politique, VI, 1) ;
  4. que si le pouvoir n’excède pas un certain degré de violence, au-delà duquel il ne semble plus utile (Traité théologico-politique, ch. V et XVI);
  5. que si les lois sont égales pour tous et faites pour le bien commun, car personne ne supporte d’être commandé par un égal : la démocratie semble alors le meilleur régime ;
  6. que si la liberté de penser et de parler est garantie, car il est impossible de commander absolument aux âmes et aux langues, de sorte que réprimer la liberté de parole engendrerait plus de violences qu’elle n’en empêcherait : on ne doit commander qu’aux actes ou aux paroles qui entraînent des actes séditieux.