Un des principaux problèmes épistémologiques des sciences mathématiques regarde le statut de leurs objets. On peut distinguer:

  1. une position empiriste qui considère que les réalités mathématiques sont produites par abstraction à partir des réalités naturelles et de l'expérience;
  2. une position idéaliste qui considère que les réalités mathématiques ont une existence séparée, une consistence propre qui résiste à la pensée;
  3. une position nominaliste, qui considère que les réalités mathématiques ne dépendent que de conventions, voire de constructions linguistiques.

Dans l'antiquité la première position avait été soutenue par Aristote, la seconde par Platon. Chaque position a ses avantages et ses inconvénients:

  1. La position empiriste assure une continuité entre l'expérience commune et les réflexions mathématiques mais elle peine à expliquer des raisonnements sans aucune dimension intuitive (par ex. les réflexions sur les ensembles infinis), dont l'expérience ne fournit aucun modèle;
  2. La position idéaliste donne une importance décisive à la nécessité noétique qui caractérise les énoncés mathématiques, qui semblent a) être universels en droit (compréhensibles par tout être rationnel), b) s'imposer à l'esprit, c) posséder une évidence de vérité;
  3. La position conventionnaliste met l'accent sur le fait que les concepts créés sont liés à une série d'opérations déterminées par un contexte théorique, mais elle échoue à expliquer le succès de l'application empirique des mathématiques.

Dans La Philosophie silencieuse (ch. VII), Dessanti écrit que "les mathématiques ne sont ni du Ciel, ni de la Terre", métaphore par laquelle il entend définir une position mixte:

  1. les mathématiques ne sont pas du Ciel: il n'y a pas d'univers d'êtres mathématiques, qui existeraient en soi, indépendamment de la pratique humaine;
  2. les mathématiques ne sont pas de la Terre: les opérations mathématiques "introduisent une rupture par rapport aux formes d'organisation offertes dans le champ de perception".

La philosophie ne peut se résoudre ni à une élucidation d'une structure idéale et éternelle des mathématiques, vers laquelle tendraient les mathématiques historiques, ni à une genèse empirique des mathématiques.

Cela ne signifie pas que les mathématiques sont un échaffaudage artificiel, mais que les mathématiques n'atteignent la structure des choses qu'en rompant avec la "première apparence des choses".

Les êtres mathématiques sont donc réels, mais en un sens différent: 

  1. ils n'ont de statut que relationnel et intra-théorique (leur existence dépend d'un système élaboré dans une théorie donnée);
  2. leur réalité dépend "des procédures de vérification des énoncés qui expriment leurs propriétés, c'est-à-dire des formes de déploiment de la pratique mathématicienne";
  3. une idéalité mathématique n'est qu'une "indication de procédure opératoire ou démonstrative";
  4. si les réalités mathématiques rompent avec les apparences, elles permettent d'"avoir affaire à eux" en étudiant l'ensemble des relations possibles entre les choses.