La position constructiviste consiste à insister sur les moyens par lesquels la science construit son objet, qu'il ne trouve pas donné dans le réel. Il est évident que la science invente:
- des concepts (des termes qui ont une définition ou un champ d'application restreint);
- des lois (qui désigne une relation constante et uniforme entre différents phénomènes; en science elles ne sont pas normatives, mais descriptives);
- des instruments;
- des théories (qui désigne des systèmes de lois unifiées et organisées autour de principes explicites).
Tous ces éléments doivent être assez précis et déterminés pour être confrontés à l'expérimentation. Une loi n'est pas qu'une généralisation accidentelle (cf. Hempel, Eléments d'épistémologie), car:
- elle doit pouvoir s'appliquer à des cas dont on a pas d'exemples;
- elle a une capacité de prédictibilité.
On peut alors soutenir que la théorie, les concepts et les lois, loin de dériver de l'expérience, l'orientent. Comme le souligne Gaston Bachelard (La Formation de l'esprit scientifique, I):
Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.
Par quoi Bachelard entend que:
- la science rompt avec l'opinion et notamment avec les images sensibles qui constituent des obstacles épistémologiques, des obstacles internes dont la rectification permet de le développement de concepts précis (ex. de l'atome de Bohr qui représente la structure atomique sur le modèle erroné du système solaire, Philosophie du non, ch. I);
- l'expérience n'est pas une contemplation, mais une dialectique, où l'expérience est "précisée, rectifiée, diversifiée"; elle n'est pas un point de départ, mais un but;
- l'expérience passe souvent par des instruments qui rompent avec la connaissance vulgaire (ex. du spectroscope qui nous font voir des phénomènes électriques "cachés"): les instruments sont des théorèmes réifiés qui modifient l'expérience;
- la science construit des modèles mathématiques qui négligent parfois délibérément certaines caractéristiques empiriques (ex. la résistance de l'air) et recourent à l'approximation comme à un moyen de connaissance (car la science prend en considération l'inexactitude de ses théories).
Le rapport entre réalité et raison doit être dialectisé:
- un fait nouveau peut modifier une théorie, mais dans ce cas on modifie la théorie de telle sorte qu'elle "aurait pu le prévoir";
- la théorie oriente les expériences, voire formule ce qui n'est pas encore connu (comme dans le cas du tableau de Mendeleiev qui prédit l'existence de substances inconnues, découvertes plus tard);
- le réel désigne ce qui, finalement, déjoue les théories, leur résiste, l'a-peu-près qui ne peut être réduit (Essai sur la connaissance rapprochée). Ce n'est pas un donné initial, mais un résultat final.