La philosophie de Nietzsche est :

  1. perspectiviste : elle prend différentes perspectives sur les choses afin de les envisager sous des angles inédits ;
  2. fragmentaire : elle s'exprime par des aphorismes, de courts paragraphes qui ont une dimension incisive et rhétorique, et qui n'ont leur cohérence que dans un mouvement de confrontation mutuelle.

Contrairement à de nombreux philosophes, qui cherchent à fonder en vérité les énoncés scientifiques et moraux, Nietzsche propose une perspective généalogique, par quoi il faut entendre :

  1. Une attention à l'origine des jugements et des valeurs ;
  2. Une attention au développement non-linéaire et discontinu de l'histoire : une chose peut très bien venir de son contraire (comme le châtiment juridique du sentiment de vengeance) et en garder certaines caractéristiques ;
  3. Une insistance sur les valeurs plus que sur les contenus des notions.

Cette perspective aboutit à déconstruire les valeurs comme réalités absolues et à les envisager dans le processus qui les a engendrées :

nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, et la valeur de ces valeurs doit tout d’abord être mise en question — et, pour cela, il est de toute nécessité de connaître les conditions et les milieux qui leur ont donné naissance, au sein desquels elles se sont développées et déformées (la morale en tant que conséquence, symptôme, masque, tartuferie, maladie ou malentendu ; mais aussi, la morale en tant que cause, remède, stimulant, entrave, ou poison). (Généalogie de la morale, Avant-propos)

La généalogie est critique au sens où, en montrant l'origine de ce qui apparaît comme naturel et rationnel, elle en dénonce la fixation et l'absolutisation.

La généalogie implique une nouvelle conception du temps ou de l'histoire :

en tout genre d’histoire, rien n’est plus important que ce principe [...] que la cause originelle d’une chose et son utilité finale, son emploi effectif, son classement dans l’ensemble d’un système des causes finales, sont deux points séparés toto cœlo ; que quelque chose d’existant, quelque chose qui a été produit d’une façon quelconque est toujours emporté, par une puissance qui lui est supérieure, vers de nouveaux desseins, toujours mis à réquisition, armé et transformé pour un emploi nouveau ; que tout fait accompli dans le monde organique est intimement lié aux idées de subjuguer, de dominer et, encore, que toute subjugation, toute domination équivaut à une interprétation nouvelle, à un accommodement, où nécessairement le « sens » et le « but » qui subsistaient jusque-là seront obscurcis ou même effacés complètement [...] Si la forme est fluide, le « sens » l’est encore bien davantage… (Généalogie de la morale, II, 12)

S'il y a quelque chose dans le résultat qui témoigne de l'origine, le développement historique — comme organique — n'est pas le développement d'une logique préétablie : contre toute causalité finale, contre toute histoire nécessaire, Nietzsche indique que le sens des valeurs est le fruit d'une histoire complexe et contradictoire. La signification n'est pas une donnée, fixée pour l'éternité, mais une réalité mobile qui se constitue par des ruptures et des métamorphoses successives.