L'ambivalence épistémologique de la médecine se traduit dans les difficultés liées à la définition du concept de maladie.
On peut distinguer en effet:
- une conception purement objective de la maladie
- une conception subjectiviste qui prend en compte le vécu ou ressenti du malade.
G. Canguilhem, dans le Normal et la pathologique, donne un exemple de cette dualité: un homme qui meurt lors d'un accident de voiture, et qu'on diagnostique post mortem d'un cancer, alors qu'il l'ignorait, était-il malade? Peut-on être malade sans le savoir ou la maladie est-elle liée à une conscience de la maladie?
La conception objective de la maladie soutient qu'elle dérive:
- de la présense d'agents infectieux objectivement décelables (conception ontologique: la maladie réside dans une substance qui existe);
- ou du disfonctionnement des certains organes (conception fonctionnaliste ou physiologique).
Le philosophe analytique Christopher Boorse a proposé une défnition bio-statistique de la maladie:
la santé au sens théorique est l’absence de maladie (disease), la maladie n’est pas autre chose que le fonctionnement biologique d’une partie de l’organisme statistiquement subnormal pour l’espèce ; donc la classification des états humains comme sains ou pathologiques est une question objective, que l’on doit résoudre à partir des faits biologiques de la nature sans qu’il soit nécessaire de recourir à des jugements de valeur.
La maladie repose donc sur un dysfonctionnement, qui est un écart par rapport à fonctionnement normal de l'organisme dans une espèce donnée.
Une approche subjectiviste conduit au contraire à réduire la maladie à la douleur, ou à ce qui est incapacitant.
Dans le Normal et le pathologique, George Canguilhem a proposé une position mixte, en définissant la maladie comme:
la maladie est une norme de vie, mais c'est une norme inférieure en ce sens qu'elle ne tolère aucun écart des conditions dans lesquelles elle vaut, incapable de se changer en une autre norme
Si le vivant est capable d'exclure, de choisir, de poser des normes particulières et d'en changer (Nietzsche), de s'adapter, la maladie est précisément une réduction de cette "normativité vitale": elle n'est pas une anomalie (un écart par rapport à une norme, car on peut être différent sans être normal), mais un défaut de normativité, de plasticité, c'est-à-dire de liberté.
En conséquence la maladie est selon Canguilhem:
- un trouble global, qui touche l'ensemble de l'organisme et ses relations avec son vivant
- un fait individuel
- qui est bien ressenti comme une incapacité.