Dans le paragraphe 344 du Gai Savoir, intitulé « En quoi nous sommes encore pieux », Nietzsche propose une analyse généalogique du projet de la science, entendue comme recherche de la vérité.

La science apparaît d'abord comme mise à l'épreuve des convictions : celles-ci ne sont pas reçues sans avoir été testées, modifiées, rectifiées. La science transforme les convictions en « hypothèses » ou en certitude, fruit d'un processus de questionnement (voir aussi Humain trop Humain, §635).

Mais si la science proclame objectivement la fin des convictions non questionnées, il faut pourtant, subjectivement, qu'elle suppose une conviction :

il s’agit encore de savoir si, pour que cette discipline puisse commencer, une conviction n’est pas indispensable, une conviction si impérieuse et si absolue qu’elle force toutes les autres convictions à se sacrifier pour elle. On voit que la science, elle aussi, repose sur une foi, et qu’il ne saurait exister de science « inconditionnée ». La question de savoir si la vérité est nécessaire doit, non seulement avoir reçu d’avance une réponse affirmative, mais l’affirmation doit en être faite de façon à ce que le principe, la foi, la conviction y soient exprimés, « rien n’est plus nécessaire que la vérité, et, par rapport à elle, tout le reste n’a qu’une valeur de deuxième ordre ».

En somme la science n'est possible que :

  1. si l'on croit que la vérité est possible ;
  2. si l'on considère la vérité comme une valeur, à rechercher ;
  3. et comme une valeur absolue, à laquelle on subordonne les autres valeurs.

Ainsi, la mise en doute des convictions suppose-t-elle paradoxalement une conviction en la valeur de la vérité.

Nietzsche pose alors la question de l'origine de cette volonté de vérité.

  1. Première hypothèse : elle vient d'une volonté de « ne pas être trompé ». Mais cela suppose de considérer la vérité comme toujours utile. Or, il y a, comme le répète Nietzsche, des vérités qui dérangent, qui sont moins utiles pour la vie que les croyances.
  2. Deuxième hypothèse : elle vient d'une volonté de « ne pas tromper ».  La science est ainsi rapportée à une volonté fondamentalement morale.

Enfin, Nietzsche souligne l'importance de l'erreur, de l'apparence dans la vie, de sorte que la recherche de la vérité, même scientifique, apparaît comme un long prolongement de l'entreprise métaphysique, qui consiste à nier les caractéristiques de ce monde, pour chercher une vérité absolue, qui ne puisse pas tromper.