Dès Aristote, le statut épistémologique de la médecine se trouve posé: la médecine est une science productive, car elle vise à engendrer la santé. Elle porte:
- sur le contingent et le général: sur ce qui a lieu le plus souvent, et non pas toujours;
- sur l'individuel et non sur l'universel.
La médecine est le fruit de l'expérience (Métaphysique, A), c'est-à-dire du rassemblement de notions par la répétition de cas semblables. Elle ne forme donc pas une science théoritique: on ne soigne pas l'homme, mais des hommes singuliers, dans un contexte toujours changeant:
Si donc on possède la notion sans l'expérience, et que, connaissant l'universel, on ignore l'individuel qui y est contenu, on commettra souvent des erreurs de traitement, car ce qu'il faut guérir, c'est l'individu
Cependant Aristote souligne également que la médecine raisonne non simplement sur les individus, mais sur les causes et le général:
former le jugement que tel remède a soulagé Callias, atteint de telle maladie, puis Socrate, puis plusieurs autres pris individuellement, c'est le fait de l'expérience ; mais juger que tel remède a soulagé tous les individus de telle constitution, rentrant dans les limites d'une classe déterminée, atteints de telle maladie... cela relève de l'art
En tant qu'art, la médecine parvient à formuler des généralités qui orientent sa pratique, mais pas à la formulation de lois universelles et nécessaires.
Si les fondements de la médecine grecque ont été abandonnés, la question demeure de la relation entre la vocation pratique de la médecine (soigner tel individu) et sa vocation scientifique ou étiologique (connaître les causes des maladies, des virus...).
Dans le "Statut épistémologique de la médecine" (1985), Canguilhem définit la médecine comme
une somme évolutive de sciences appliquées
- une somme, car la médecine intègre différentes sciences entre elles (biologie, statistique, physiologie, psychologie...)
- évolutive car elle est prise comme les autres sciences dans un développement historique
- de sciences: depuis le XIXe siècle, la médecine a conquis son autonomie en constituant son objet: l'anatomie et la clinique, en particulier par la dissection et l'expérimentation (Claude Bernard), l'introduction des statistiques en épidémiologie ont mis de côté l'individu malade, pour considérer des phénomènes objectfs
- appliquées: car, si la mise-entre-parenthèse du malade est un moment positif dans la constitution de la médecine comme science, cet "oubli" ne peut être justifié que parce qu'à terme, il s'agit de soigner:
Quelles que soient la complexité et l'artificialité de la médiation technique, scientifique, économique et sociale, de la médecine contemporaine, quelle que soit la durée de la mise en suspens du dialogue entre médecin et malade, la résolution d'efficacité qui légitime la pratique médicale est fondée sur cette modalité de la vie qu'est l'individualité de l'homme.
De ce point de vue, la médecine s'accompagne d'opérations très spécifiques:
- compréhension du malade et de ses difficultés;
- désir de restituer le malade à sa liberté biologique.