Un champ disciplinaire a également besoin d’une existence institutionnelle pour vivre de manière pérenne. Si la psychologie, puis la sociologie entrent à l’Université en France en 1947 et 1958, comme disciplines spécifiques de formation, il faut attendre 1967 pour voir la même chose s’opérer en sciences de l’éducation avec la création, par l’arrêté du 2 février 1967, de la maîtrise des sciences de l’éducation.
Si les sciences de l’éducation constituent une discipline jeune, puisque apparue sous sa forme actuelle seulement en 1967 en France, il existait, entre 1883 et 1914, un enseignement de science de l’éducation (au singulier) dans les universités françaises. Cet enseignement dispensé par un certain nombre de professeurs célèbres comme H. Marion, puis F. Buisson ou É. Durkheim, se proposaient de légitimer et justifier l’existence de l’école laïque, obligatoire et gratuite mise en place par la IIIe République et son ministre de l’Instruction publique, J. Ferry, en 1881 et 1882.
Il s’agissait aussi d’assurer la préparation professionnelle des maîtres de l’enseignement secondaire. Cette formation se réalisait en complément de la direction d’études que les étudiants, se destinant au professorat, recevaient de la faculté. L’intérêt porté à l’éducation scolaire, à l’École en règle générale, et à l’école primaire tout particulièrement, est donc central dès les origines.
L’utilisation du pluriel et l’expression « sciences de l’éducation » sont apparues au début du XXe siècle. Par exemple, est créée, en 1912, à Genève, une École des Sciences de l’éducation, plus couramment appelée Institut Jean-Jacques Rousseau.
Après une quasi rupture de plus de cinquante ans (1914-1967), un arrêté institue donc une licence de sciences de l’éducation dans trois universités, Bordeaux, Caen et Paris avec la mise en œuvre de trois professeurs fondateurs, M. Debesse, J. Château et G. Mialaret.
Une discipline ne peut s’imposer durablement dans l’institution scolaire ou universitaire sans un contexte favorable plus large. Le contexte des années 1947-1973 voit une mutation accélérée des réalités socio-économiques du monde occidental en lien avec ce qu’il est convenu d’appeler les « Trente Glorieuses », ce qui modifie en profondeur les conditions de vie.
Durant ces années, le mouvement de massification-démocratisation de l’enseignement primaire, mais surtout de l’enseignement secondaire, puis supérieur, pose de redoutables problèmes d’organisation administrative, mais aussi de réforme pédagogique. Le premier cycle du secondaire « pour tous » se met en place (1959, 1963 puis 1975), alors que les effectifs d’étudiants augmentent rapidement, les événements de mai-juin 1968 venant imposer une réforme majeure de l’enseignement supérieur.
Un élément favorable à l’affirmation des sciences de l’éducation tient dans les progrès rapides des sciences et des technologies durant cette période qui nécessitent des modifications de contenus et de méthodes dans l’enseignement. Ces éléments viennent questionner le fonctionnement des systèmes scolaires et réclament des réponses du monde universitaire.
Il est important de saisir le rôle joué par un certain nombre d’acteurs individuels dans le processus d’institutionnalisation d’une discipline nouvelle au sein du monde universitaire : Maurice Debesse, Gaston Mialaret, Jean Hassenforder, Roger Gal qui arrive à la tête du Service de la recherche à l’Institut pédagogique national (IPN) en 1951, puis Louis Legrand qui lui succède en 1966. Ces pionniers, militants de la cause des sciences de l’éducation, ont des parcours diversifiés, mais se rejoignent dans le constat d’un nécessaire renforcement de la recherche en éducation. Jean Vial, Georges Rioux, Antoine Léon (pôle parisien), Jean Château, Guy Avanzini (pôle lyonnais) apparaissent également comme des acteurs importants de cette institutionnalisation tout comme Gaston Mialaret pour le pôle caennais.
Congrès et colloques participent à la progressive structuration des sciences de l’éducation.
L’emploi du pluriel dans l’affirmation des sciences de l’éducation de ces années 1945-1975 devient nécessaire, l’usage du singulier (la science de l’éducation) étant daté (période 1880-1914), mais surtout extrêmement réducteur. Les sciences de l’éducation sont sans cesse tiraillées entre désir d’unité et besoin d’affirmation de champs constitutifs pluriels et de méthodologies parfois divergentes.