Une manière de comprendre les politiques publiques en éducation et leur mise en œuvre consiste à recourir à la notion de justice, développée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991), au sens de philosophie politique et morale. Les politiques se construisent sur une conception du bien commun, mais plusieurs modèles sont disponibles :

  1. Le modèle civique : son principe directeur est l’intérêt général. Ce qui est juste correspond au plus haut degré de généralités, ce qui a une valeur universelle. On a une construction de ce type dans le modèle républicain de l’École. L’École est standardisée afin que les jeunes aient, quel que soit leur lieu de vie (région), les mêmes conditions de socialisation. Le système scolaire s’appuie sur l’universel et propose en ce sens une culture recevable par tous. C’est ce principe qui a présidé à la construction du service public national (standardisation des programmes, des espaces et des objets scolaires, de la formation des enseignants, des examens…).
  2. Le modèle industriel : ce qui est juste dans ce modèle, c’est la recherche de la performance. Au niveau national, elle s’est traduite par des procédures d’évaluation. La mesure de la performance est alors légitime, ainsi que les comparaisons nationales ou internationales. Cette logique a conduit notamment à l’introduction de pratiques venant du monde de l’entreprise : définition de compétences, pilotage par des objectifs inférés à une évaluation des résultats.
  3. Le modèle domestique : ce qui est juste, c’est de généraliser la figure de la famille. Il importe de développer des relations chaleureuses et proches entre les personnes, de faire en sorte que les élèves et les professeurs soient enclins à se rencontrer. Les enseignants doivent témoigner de l’attention aux élèves. Alors que, dans une logique industrielle, la séparation est nette entre un professeur-professionnel et des jeunes-élèves, dans la logique domestique, il n’y a pas de dissymétrie entre les adultes et les élèves.
  4. Le modèle marchand : ce qui est juste, c’est de laisser s’épanouir le marché, c’est-à-dire le rapport entre une offre et une demande. La mise en place d’une carte scolaire empêchait en théorie les parents de choisir un établissement. Cette imposition était associée à l’homogénéité des établissements plaçant en principe chaque élève devant les mêmes conditions d’enseignement. Mais le fait de favoriser l’autonomie et les projets, la différenciation des établissements s’est développée, rendant problématique l’attribution à chaque élève d’un lieu scolaire.