Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, l’observation scientifique nécessite méthode et rigueur. Il ne s’agit pas de quelque chose de naturel et spontané. Elle requiert, à l’inverse, un effort de la part du chercheur, lequel doit appliquer des principes et une technique précis. Gaston Bachelard, célèbre philosophe des sciences, insistait sur ce point lorsqu’il écrivait que le fait scientifique n’est pas seulement à constater, mais qu’il est aussi « conquis et construit ». Cela s’applique aux sciences naturelles, mais aussi et plus encore aux sciences sociales.
La « conquête » de l’objet doit être mise en relation avec le besoin d’objectivité qui constitue l’une des marques de fabrique de la démarche scientifique. Pour que l’observation soit scientifique, l’observateur doit enregistrer les faits sans mêler à son observation ses opinions antérieures, ses idées préconçues. Une telle neutralité de l’observateur était mise en avant par Claude Bernard, autre grand penseur des sciences, lorsqu’il soulignait, à l’intérieur de son exposé de la méthode scientifique expérimentale, que « l’observateur doit être le photographe des phénomènes, son observation doit représenter exactement la nature. Il faut observer sans idée préconçue ; l’esprit de l’observateur doit être passif, c’est-à-dire se taire ; il écoute la nature et écrit sous sa dictée ».
Or, surtout en matière de sciences sociales, il est difficile d’atteindre pareille objectivité. Il faut se garder de l’illusion d’un savoir immédiat. C’est en ce sens que les faits scientifiques ne se donnent pas spontanément à l’observateur, mais se conquièrent par lui. « Quand il se présente à la culture scientifique, remarquait encore Gaston Bachelard, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux car il a l’âge de ses préjugés. L’opinion pense mal, elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne connaissons pas ». Cette difficulté est plus forte s’agissant des sciences sociales que partout ailleurs et c’est afin d’atteindre cette objectivité que le sociologue Émile Durkheim invitait ses élèves à « traiter les faits sociaux comme des choses ». De ce principe, a été déduit un corollaire, celui de « l’ignorance méthodique ».