Norbert Élias est un écrivain et sociologue allemand, né en 1897 à Breslau et mort en 1990 à Amsterdam. Son œuvre majeure, Sur le processus de civilisation, relève de la sociologie historique. La notion d'interdépendance est au centre de sa pensée. Il la décrit en ces termes : « Comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contre-coup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur ».
Norbert Élias se méfie des définitions a priori des notions de micro-social et de macro-social. Elles sont relatives et on leur accorde, selon lui, trop d’importance. Ainsi, une relation nationale sera-t-elle micro par rapport à une relation internationale, mais macro par rapport à la relation entre quelques individus. Norbert Élias a beaucoup étudié le rapport entre l’individu et la société, problématique qui est logiquement au cœur de la sociologie. Pour lui, toute société humaine assure quatre fonctions, dont bénéficient chacun de ses membres :
- une fonction économique, relative à la production des biens de survie et d'existence ;
- une fonction politique de contrôle de la violence, interne au groupe comme vis-à-vis d'autrui ;
- une fonction de savoirs, qu'il s'agisse de savoirs à caractère magique, mythique ou scientifique ;
- une fonction sentimentale d'intégration de l'autocontrôle, c'est-à-dire relative à la capacité à maîtriser ses émotions.
Selon Élias, ces fonctions croissent grâce à une dynamique d'interdépendance. La fonction économique, par exemple, habilite le pouvoir à lever des forces armées, elles-mêmes nécessaires à lever l'impôt qui assure les capacités économiques. En conceptualisant en ces termes ce mouvement, Élias entend aller au-delà de la traditionnelle distinction entre l'individu et la société : l’un et l’autre se développent de façon liée ; et chacun influence l’autre tout autant qu’il est influencé par lui. L'individu a donc une identité propre, mais il est inséré dans un milieu, et les relations avec celui-ci vont conduire à lui transmettre des valeurs, un schéma de comportements, un habitus social. Il est lui, son prénom (l'identité du je), mais aussi ceux (et les institutions) avec qui il s'est formé (l'identité du nous), dont son nom peut donner l'indice et dont il dépend (et inversement).
Le mouvement d'individualisation progressif en Europe ne va pas sans un paradoxal contrôle du milieu social sur l'individu, au fur et à mesure que ce que l'on nomme la société se développe, que la spécialisation requiert plus de coordination, d'automatismes et d’autocontrôle, que la chaîne d’interdépendance se perfectionne et se prolonge. Élias souligne en ce sens que l'éducation d'un enfant vise à inculquer à celui-ci en quelques années tous les mécanismes d'auto-contrôle que la société a produits sur le temps long.