Comme le remarque Hume (Traité de la nature humaine, III, II, I), c’est le besoin de possessions matérielles qui engendre et menace la société humaine :

  • Seule l’aide réciproque des êtres humains peut leur permettre de satisfaire l’ensemble de leurs besoins ;
  • La diversité des biens possédés par chacun éveille le désir de les posséder, et fait courir à la société le risque de la guerre.

C’est pourquoi la première loi de justice (ou loi naturelle), qui garantit le lien social, est, selon Hume, la stabilité des possessions : la propriété, fondée sur l’habitude que nous avons de posséder certains biens.

Mais cette stabilité a ceci d'inconvénient que tous les hommes ne sont pas satisfaits des biens possédés, qui leur sont échus au hasard. C’est pourquoi l’échange, moyen terme entre la rigidité des possessions naturelles et la prédation violente, est la seconde loi naturelle : il se définit comme « un transfert de propriété par consentement » et engage réciprocité. La monnaie se révèle comme instrument d’échange, se substituant à des biens concrets.

L’échange et le don

Toutes les sociétés sont-elles fondées sur un échange réciproque ? Certaines sociétés semblent, au contraire, reposer sur le don, c’est-à-dire sur l’aliénation inconditionnelle et non réciproque d’un bien.

Cependant, comme l’a montré Marcel Mauss (Essai sur le don), le don est une espèce d’échange différé : tout don appelle un « contre-don », le donateur prend l’ascendant sur le donataire, l’oblige à rendre.

Mauss croit trouver l’explication de cette obligation dans une croyance subjective, dans le hau, propriété magique de l’objet qui rappelle le donataire ; on a pu proposer d’autres explications : l’échange structure fondamentalement les relations sociales (Lévi-Strauss, Introduction à Mauss) ; donner, c’est chercher à obtenir la reconnaissance des autres, un capital non pas matériel, mais symbolique (Bourdieu, Méditations pascaliennes, ch. IV) ; ou encore la notion de confiance, qui garantit l’ensemble des relations économiques (je ne donne que parce que je suis sûr qu’on va me rendre).

Reste une différence fondamentale entre l’échange et le don (Descola, Par-delà nature et culture, ch. XIII) : l’échange implique une réciprocité immédiate, nécessaire et matérielle, le don n’implique la réciprocité qu’à titre morale (on peut ne pas le faire, même si on perd la face à ne pas le faire).

L’exigence de justice

Comme le remarque Mauss, le système d’assurance sociale (chômage, retraite, etc.) s’inspire d’une logique de réciprocité : le travailleur donne sa force de travail à la communauté ; l’État se sent obligé de lui rendre certaines assurances et services. Ce système ne se confond pas avec l’aumône, ou un simple philanthropisme (goût d’aider).

Mais on peut aussi considérer que l’action sociale tire sa légitimité des inégalités factuelles que l’échange et la diversité des possessions ne manquent pas d’engendrer : l’État aurait pour mission de maintenir une certaine dose d’égalité, de justice sociale (Rawls).