Étudier l'humain : entre nature et culture

« L'homme est un être culturel par nature, parce qu'il est un être naturel par culture », écrit Edgar Morin dans le Paradigme perdu : la Nature humaine. Être homme, c'est donc être à la fois nature et culture, formé par la nature et pétri par la culture. À cet égard, la culture n'est pas un simple superflu, purement gratuit, qui viendrait se rajouter extérieurement et par artifice à la vie. Elle est bien plutôt, si on la distingue de la pure érudition, la condition de possibilité d'accès à l'humanité, au sens plein et entier du terme. Sans culture, point d'homme. C'est en ce sens que l'on peut dire « faire ses humanités », pour désigner l'étude des cultures grecque et latine : c'est en Grèce et à Rome que se sont élaborés les linéaments de notre culture, de nos conceptions politiques et morales.

Par « culture », il faut entendre le système de normes sociales, morales, juridiques, linguistiques et éventuellement religieuses qui structurent notre existence, dans une ère géographique et temporelle circonscrite. Toute culture est donc relative. Mais une telle définition est insuffisante : la culture, c'est aussi, en un second sens, l'intériorisation progressive et variable, par chaque individu, de ce système de normes sociales. En ce sens, la culture est variable, non homogène et contingente.
Le risque d'atomisation de la culture est donc prégnant : chacun risque de considérer, intuitivement mais à tort, qu'est inacceptable tout ce qui « n'est pas de son usage », comme l'écrit Montaigne dans les Essais. La remarque a valeur d'avertissement contre un ethnocentrisme délétère, mais partagé.

Nous avons tous bénéficié d'une éducation. Elle nous inscrit dans des relations sociales, humaines, nous fait travailler et aimer, souvent sans même que nous n'en ayons conscience. C'est bien le problème : au sens étymologique, éduquer signifie « tirer quelqu'un ou quelque chose hors de ». Mais hors de quoi ? La réponse la plus évidente semble être « hors de la nature », c'est-à-dire hors de notre animalité.
L'éducation serait le processus de sortie de l'humanité au sens biologique – de notre animalité – au profit de notre humanité au sens moral, c'est-à-dire de la spécificité culturelle de l'espère humaine au sein des espèces vivantes. Dès lors, comment qualifier cette « sortie » de la nature ? Laisse-t-elle intacte son origine en l'englobant, ou la bouleverse-t-elle au point de la rendre méconnaissable ?

• « L'homme est la mesure de toutes choses » (Protagoras cité par Platon, Thééthète).
• « Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique » (Dilthey, Le Monde de l'Esprit, 1894).
• « Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture » (Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la Parenté, 1947).
• « L'homme est un être culturel par nature parce qu'il est un être naturel par culture » (Edgar Morin, Le Paradigme perdu, la Nature humaine, 1973).