Alors que les concepts d'imitation et de représentation insistent sur la relation de l’œuvre à une réalité extérieure (le modèle ou l’objet représenté), la notion d’expression rapporte l’œuvre à l’esprit qui la conçoit : elle insiste sur l’extériorisation, dans la matière, d’une intériorité.

C’est dans ce contexte que Hegel s’intéresse à l’art. Ses Cours d’esthétique présentent l’art comme un moment du développement de l’esprit absolu : du moment où l’esprit prend pleinement conscience de lui-même. L’art est une manière pratique de prendre conscience de soi. En travaillant la matière, l’homme lui imprime une forme qui correspond à l’idée qu’il a en soi et se reconnaît dans l’extériorité :

il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles il impose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors ses propres déterminations (Introduction à l'esthétique).

Cette médiation du travail, au fondement de l’art, en fait quelque chose d’autre qu’un divertissement ou une simple imitation de la nature. En art, l’apparence sensible n’est jamais immédiate :

Dans son apparence même, l’art nous fait entrevoir quelque chose qui dépasse l’apparence : la pensée.

L’art est un processus de manifestation, et la belle œuvre n’est pas définie en termes de propriétés internes, mais par sa capacité à unir un contenu spirituel et une forme sensible : l’idéal de l’art est de

« manifester, sous une forme sensible et adéquate, le contenu qui constitue le fond des choses ».

C’est l’appropriation du contenu spirituel (l’idée exprimée) et de sa forme sensible (gestalt) qui définit la beauté et fait l’intérêt de l’art.

Mais cette adéquation n'est pas toujours réalisée ; elle prend du temps et demande « l’âpre lutte d’une force formante avec une matière qu’il lui faut dominer ». Cette lutte se traduit par une longue histoire des arts, constituée de différents moments et poussée par la nécessité qu’a l’esprit de s’exprimer.

Hegel distingue trois périodes :

  1. Art symbolique (art égyptien, assyrien, perse). Le contenu cherche une forme appropriée, mais ne la trouve pas. Il s’agit d’exprimer une idée indéterminée (l’idée du divin tout-puissant) dans une matière : soit de manière quantitative (pyramide, rangée d’obélisques).
  2. Art classique (statuaire grecque) : l’idée se détermine et se donne une forme appropriée. La statuaire exprime harmonieusement l’idée de l’homme, qui n’est pas conçu comme un individu subjectif, mais comme un être entre l’animal et le divin, doué d’une vie citoyenne.
  3. Art romantique (arts chrétiens, art moderne): après l’apogée, l’union se rompt entre la forme sensible et l’idée ; la subjectivité se comprend comme infinie, elle ne peut pas se manifester dans un matériau sensible qui est toujours fini. Dissociation de l’idée et de sa forme : on ne peut représenter le Dieu des chrétiens. La forme sensible, de son côté, s'autonomise, notamment dans la musique romantique (Rossini).
  4. Fin de l’art : Hegel parle alors de fin de l’art, ce qui ne signifie pas qu’il n’y a plus de production artistique, ni que les œuvres n’ont plus de sens ou de valeur ; mais simplement que ce n’est plus dans l’art que l’esprit absolu se manifeste adéquatement. L’art s'autonomise du développement de l’idée ; il perd, pour Hegel, sa fonction spéculative, relayée par la religion et la philosophie.