Contrairement aux notions d’imitation et de représentation, le concept de dévoilement insiste sur la capacité de l’art à changer notre regard sur les choses. L’art ne reproduit pas ou ne transforme pas une réalité préexistante, mais met au jour, au sein du réel, des dimensions qui échappent au regard quotidien. La théorie du dévoilement implique :

  1. l’identification d’vun « voile » : pourquoi ne voyons-nous pas la réalité telle qu’elle est et avons-nous besoin de l’art ?
  2. l’explication de la rupture cognitive apportée par l’art : en quoi l’art nous introduit-il à une autre manière d’envisager le réel ?

Cette théorie a été très populaire chez les artistes et écrivains (par ex. Proust) du XIXe et du XXe siècle, car elle permet :

  1. d’éviter l’idée que l’art imite une réalité préexistante ;
  2. de montrer que l’art n’est cependant pas une simple fiction, mais engage un certain rapport au réel.

On peut faire remonter cette théorie à Arthur Schopenhauer qui, dans la troisième partie du Monde comme volonté et représentation, met en avant la fonction éthique et métaphysique de l’art :

[I]l suffit qu’un esprit s’adonne une seule fois à la contemplation purement objective du monde pour que s’éveille [...] une aspiration à saisir l’essence véritable des choses, de la vie, de l’existence. Voilà ce qui seul intéresse l’intellect comme tel, c’est-à-dire le pur sujet du connaître affranchi des fins de la volonté, de même que pour le sujet qui connaît en tant que simple individu, seules les fins de la volonté sont intéressantes. C’est pourquoi le résultat de toute appréhension purement objective des choses, donc aussi de toute appréhension artistique, est une expression supplémentaire de l’essence de la vie et de l’existence, une réponse supplémentaire à la question : « Qu’est-ce que la vie ? » (Suppléments, § 34).

L’individu est en général conduit par les fins de sa volonté, de ses appétits et de ses désirs : il ne voit le monde qu’à travers le « voile de Maya », sous le prisme subjectif de ce qui intéresse l’individu vivant, désirant et se représentant le monde. L’art suspend cette considération du monde et laisse place à une contemplation objective du réel.

Schopenhauer insiste ainsi sur la fonction cognitive de l’art, capable de mettre en avant les structures du réel, en général inaperçues.

Par exemple, l’architecture rend manifestes les jeux des forces physiques et les effets de la lumière sur les pierres. La musique, elle, ne représente rien, mais exprime les affections et les mouvements de la volonté.

Cette théorie sera prolongée par Henri Bergson qui soulignera la capacité de l’art à rompre avec une attitude pratique, qui marque la singularité et la qualité des choses. Mais il montera que l’art ne fait pas que dévoiler une réalité préexistante ; il invente aussi de nouvelles réalités, en particulier de nouveaux sentiments (Les Deux Sources de la morale et de la religion, ch. I).