Le droit de punir est l'une des principales prérogatives de l’État : le jugement et le châtiment public se substituent à la vengeance personnelle ; la présence d’un tiers assure la justice. L’institution judiciaire implique cependant la limitation de deux libertés : la liberté de faire (on ne peut commettre de crime ni de délit) et la liberté de faire justice soi-même. Dans quelle mesure cette limitation est-elle légitime ?

1. Justification sociale.
Le châtiment n’est justifié qu’en tant qu’il est une condition de la paix sociale.
Beccaria (Des délits et des peines, 1764) a tenté de définir la légitimité des peines à partir de leur utilité sociale, en écartant leur dimension religieuse et morale. Les peines sont :

« des moyens employés contre ceux qui enfreignent les lois, des moyens qui frappent immédiatement les sens et qui se présentent constamment à l’esprit pour contrebalancer les fortes impressions individuelles s’opposant à l’intérêt général » (§2)

tout châtiment doit dissuader, par l’exemple sensible, l’infraction et préserver le lien social. La peine est autant dirigée vers celui qui a commis le délit que vers l’ensemble de la société.

S’il excède cette finalité, le châtiment est illégitime :

« Pour que tout châtiment ne soit pas un acte de violence exercé par un seul ou par plusieurs contre un citoyen, il doit essentiellement être public, prompt, nécessaire, proportionné au délit, dicté par les lois, et le moins rigoureux possible dans les circonstances données ».

  • La publicité est essentielle pour que le châtiment provoque son effet sur les autres citoyens (la torture secrète est donc illégitime).
  • La promptitude et la nécessité luttent contre le sentiment d’impunité (une peine infaillible est plus efficace qu’une peine forte, mais incertaine).
  • Le châtiment doit être proportionné au délit, selon un calcul rationnel.
  • La peine de mort apparaît comme illégitime : les individus n’ont pu renoncer au droit de préserver sa vie.

2. Justification rationaliste et juridique.
Cette optique met entre parenthèses l’idée du châtiment comme moyen en vue d’une fin sociale, pour fonder le châtiment sur une nécessité rationnelle.
Selon Kant (Doctrine du droit, 1795), le droit de punir peut être fondé sur l’impératif catégorique, même s’il n’est pas de même nature qu’un impératif moral : dans le cas du droit, ce n’est pas l’intention de l’agent qui est pris en compte, mais les effets extérieurs :

« la loi universelle du droit : agis extérieurement de telle sorte que le libre usage de ton arbitre puisse coexister avec la liberté de tout un chacun suivant une loi universelle ».

Le droit assure la coexistence des libertés de chacun, fondées par la loi morale ; la peine est une contrainte au service de la loi, une contrainte légale, légitime car elle s’oppose à une action injuste.