La pleine expression des opinions et des convictions semble essentielle à la vitalité des régimes démocratiques. En valorisant les différences entre les individus, la liberté d’expression tend pourtant à exacerber les conflits sociaux et politiques ; c’est pourquoi Hobbes (Léviathan, ch. 31), dans un contexte de guerres civiles et religieuses, considère que l’expression des idées doit être encadrée et limitée par le souverain, même si « la pensée est libre » : chacun peut penser ce qu’il veut, mais ne doit pas exprimer d’opinions contraires à la stabilité de l’État.
Cette position appelle deux questions :
- La pensée est-elle originairement si libre ? N’est-elle pas à la merci des influences les plus diverses ? C’est pourquoi la philosophie des Lumières (Condorcet, « Mémoires sur l’instruction publique », 1791) insiste sur la nécessité d’une éducation au jugement critique, qui n’apprenne pas tant des contenus de pensée, qu’à « se servir de son entendement » (Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?). Un espace public libre permet de garantir l’usage et le renforcement de cette puissance de juger.
- Peut-on dissocier liberté d’expression et liberté de pensée ? Qu’est-ce qu’une liberté de pensée qui ne peut s’exprimer ?
Spinoza (Traité théologico-politique, ch. XX) a défendu la liberté non seulement de penser, mais aussi d’expression :
- Aucun homme ne peut abandonner le droit naturel qu’il a de juger toutes choses selon sa complexion ;
- Il est très difficile pour un homme de ne pas dire ce qu’il pense, la parole est une conséquence nécessaire de la pensée ;
- Le gouvernement qui voudra réduire la liberté d’expression sera donc violent en vain.
Même si le gouvernement réussissait à imposer les règles d’expressions, il créerait une hypocrisie générale entre ce que les citoyens pensent et ce que les citoyens disent, hypocrisie qui abolirait la « fidélité » nécessaire à l’ensemble de l’État.
Pour Spinoza, il faut donc distinguer les actions, qui doivent être réglementées par des lois, et les paroles, qui doivent être libres (à l’exception des propos séditieux, qui auraient pour conséquence des actions contraires au pacte civil).